Les déficits financiers engendrés par la dictature (1976-1983) puis dix ans de néo-libéralisme effréné pendant les années 90, avaient mené l’Argentine en situation d’incapacité de paiement de ses créances internationales l’obligeant à négocier sa dette. 93 % des créanciers avaient accepté la restructuration proposée et, depuis 2005, sont régulièrement remboursés. Les 7 % restant sont rachetés par des fonds spéculatifs (aussi connus comme fonds vautours) qui réclament aujourd’hui devant la justice des États-Unis (EU) le remboursement des 100 % de leurs obligations, soit 1,33 milliards de dollars. Le juge Griesa du tribunal de New York ordonne à l’Argentine de payer les fonds spéculatifs même si cela signifie ne plus payer les 93 % des créditeurs ! (Lire notre article « Quand les vautours veulent mettre l’Argentine à genoux » dans l’édition du 13 décembre 2013).
L’application de cette décision mettrait non seulement l’Argentine en grande difficulté financière mais tout le système financier mondial en danger d’effondrement. En effet, cela signifierait l’impossibilité future de renégociation des dettes nationales au niveau international, et la fin de la confiance des secteurs financiers dans la place de New York si les tribunaux new yorkais se mettaient à soutenir les fonds vautours. L’Argentine ayant fait appel contre la décision du juge Griesa, elle reçoit le soutien officiel du gouvernement français, inquiet pour le remboursement de sa dette extérieure, ainsi que celui de ceux des fonds d’investissement qui bénéficient actuellement du remboursement négocié en 2005 et 2010.
Le Fonds monétaire international (FMI) fait savoir qu’un verdict en faveur des fonds spéculatifs impliquerait un risque systémique pour la finance internationale : « On ne peut pas continuer sur la route de la croissance et en terminer avec les problèmes de dette si les procédures de restructuration étaient mises en difficulté ». Lorsque les États-Unis annoncent qu’ils ne remettront un document sur leur position officielle que si la Cour le leur demande, le FMI décide s’aligner sur eux : « Il ne serait pas adéquat que le FMI présente un document sans le soutien des États-Unis car il doit rester neutre dans un litige qui implique deux pays membres… » Malgré ces soutiens officieux, la Cour d’appel de New York confirme le jugement : l’Argentine doit payer aux fonds vautours le 1,33 milliard exigé par eux, tout de suite et en liquide sous peine de graves sanctions économiques… L’Argentine fait appel devant la Cour suprême des États-Unis qui accepte le recours début 2014.
Les fonds spéculatifs demandent alors au juge de les autoriser à rechercher les actifs et les comptes bancaires de l’Argentine à l’étranger afin de s’en saisir. Devant les menaces que représente l’action des fonds spéculatifs pour le système financier international, les États-Unis décident enfin de donner leur position officielle. Le 3 mars dernier, la Cour suprême reçoit la déclaration d’Amicus Curiae (Ami de la Cour) de la part du Département de la Justice du gouvernement états-unien. Le procureur Donald Verrilli souligne « l’intérêt substantiel qu’ont les EU dans l’interprétation et l’application correctes de la loi d’immunité souveraine et le traitement accordé aux États étrangers dans les Cours états-uniennes ». L’action des fonds spéculatifs « pourrait avoir un certain nombre de conséquences adverses », sous-entendu pour les banques de New York qui ont reçu de l’Argentine les sommes à rembourser, pour la place financière de New York qui ne donnerait désormais plus confiance aux investisseurs, et pour le système financier international si, dans le futur, les dettes extérieures des pays ne seraient plus négociables. Pour que les intérêts des EU soient bien compris, Verrilli insiste : « Ces actions pourraient mener à un traitement réciproque adverse aux intérêts des EU dans les tribunaux étrangers et menacent d’endommager les relations extérieures ». Le procureur rappelle que le Département de la justice avait déjà donné un avis négatif sur les exigences des fonds qui « pouvaient mettre en danger la solution ordonnée de crises futures des dettes souveraines », mais que « son opinion avait été ignorée » par les juges. Mi-avril, dernière présentation des arguments de l’Argentine avant la décision finale de la Cour suprême…
Jac FORTON