La chronique d’un quartier pauvre, à la lisière de Santiago du Chili à la fin des années 60. Du déjà vu, pourrait-on penser. Et pourtant Eduardo Plaza Oñate réussit à donner une vision à la fois externe, presque froide et sensible de la vie quotidienne dans une période qui marquera non seulement les gens ordinaires, mais un pays tout entier.
Les petits-chiliens, c’est la chronique d’une misère assumée avec une certaine noblesse : être pauvre n’est pas une tare, cela peut se vivre la tête haute, c’est ce que fait la famille de Pedro, le jeune garçon autour duquel tourne le récit, c’est aussi ce que font chaque jour les voisins, égaux dans les difficultés, égaux dans cette conception de la dignité.
Il n’est pas facile d’être un adolescent gay dans un tel environnement. Pedro sent naître en lui des attirances qui ne plaisent pas à ses parents, qui font de lui la cible d’allusions, puis de moqueries et qui le désorientent profondément. On règle généralement ce genre de « problème » par un séjour imposé, plus ou moins prolongé, dans un hôpital psychiatrique. C’est ce qui arrive aux jumeaux efféminés qui habitent la maison voisine et qui deviennent peu à peu une espèce de référence pour Pedro qui les voit heureux malgré tout : une autre façon de vivre semble possible.
Mais la « libération » de Pedro, la révélation progressive de sa nature profonde ne se fait pas que par rapport au sexe. Grâce à Miguel, son frère aîné, et aux jumeaux eux-mêmes, il découvre la valeur de l’engagement politique. Dans le feu de l’action, il ne se rend pas compte bien sûr que la période est historique. Ce n’est que peu à peu qu’il prend conscience de tout ce qui fera de lui un adulte : ce qu’il est vraiment, ce qu’il pense vraiment, ce pour quoi il est capable d’un courage, d’une virilité dont il se croyait exclu. Il aura l’occasion d’assister à la victoire de Salvador Allende et l’orgueil de se sentir parmi les premiers vainqueurs : son apprentissage est parvenu à son terme. Malheureusement, l’histoire ne s’arrête pas là…
Peu à peu la légèreté tempérée du début fait place à une certaine gravité, puis à une véritable profondeur, c’est une des qualités de ce livre, qui parvient à surprendre le lecteur jusqu’à son épilogue. Quand l’histoire du pays rejoint celle, individuelle, des personnages et que drame national et drame personnel ne font plus qu’un, on sait que Eduardo Plaza Oñate a atteint son but.
Christian ROINAT
Les petits-chiliens, chronique d’un rêve, Eduardo Plaza Oñate, L’Harmattan, 226p., 20,50 €.