Petit rappel : en octobre 1998, le juge espagnol Baltasar Garzón demande à la justice britannique d’arrêter et d’extrader le général Pinochet, en visite à Londres, pour crimes contre l’humanité. Alors que la Cour des Lords en droit (Law Lords) avait décrété que la demande espagnole était recevable et que Pinochet pouvait être extradé vers l’Espagne, le ministre britannique de l’Intérieur de l’époque, Jack Straw, sur base d’un rapport médical contesté, permettait au dictateur de rentrer au Chili après 503 jours de détention domiciliaire à Londres. Arrivé à Santiago, Pinochet se lève de son fauteuil roulant et salue en riant les militaires venus l’accueillir.
Quinze ans plus tard, l’ancien ministre Straw déclare au Canal 13 de la télévision chilienne que « Après le premier rapport médical, j’ai ordonné que le général Pinochet soit ré-examiné par quatre autres médecins, tous experts du procureur. Ils ont tous affirmé que Pinochet n’était pas en état mental de subir un procès. Je n’avais pas d’autre option que de le libérer. Quand j’ai vu la scène de son arrivée à Santiago, cela m’a indigné. J’ai senti que le général Pinochet avait mis un bandeau sur les yeux des médecins et qu’il s’en sortait avec un diagnostic qui n’était pas correct… »(1)
Juste avant de libérer Pinochet, le ministre Straw avait déclaré en janvier 2000 : « Le rapport médical montre que le sénateur est actuellement incapable de supporter un jugement… Dans ces conditions, ce ministère se sent enclin à penser que la procédure d’extradition n’a aucun sens. En conséquence, il a pris la décision de ne pas extrader le sénateur Pinochet… »
Monsieur le ministre, l’auteur de cet article se sent enclin à penser que c’est la raison d’État que vous avez fait prévaloir. Ainsi donc, le pouvoir politique peut passer outre deux décisions du pouvoir judiciaire représenté par deux jugements de la Cour des Lords en droit autorisant l’extradition mais accepte la décision de quatre « experts » anonymes qui auraient donné un diagnostic incorrect !
Pourquoi ne pas reconnaître que, lorsque la raison d’Etat est en jeu, la séparation des pouvoirs n’est qu’une fiction et que le gouvernement dont vous étiez le ministre à l’époque a préféré le politique à la justice… Votre indignation m’indigne !
Jac Forton
(1) Cité par le journal chilien La Nación du 14 octobre 2013.