Reconnu comme l’un des plus grands spécialistes de Cervantes -il a notamment écrit sa biographie fictive, Miguel -, Federico Jeanmaire est un écrivain et enseignant argentin, auteur d’une vingtaine de romans. Après son premier ouvrage traduit en français, Plus léger que l’air (2011), on le retrouve toujours aux éditions Joëlle Losfeld avec Vie intérieure, qui paraît le 3 octobre.
Un homme nu est assis sur le balcon de sa chambre d’hôtel. On est à Oaxaca. L’homme est argentin. Dans la chambre, sa compagne, une Finlandaise, se tord de douleur et passe son temps entre les toilettes et son lit, blottie sous les couvertures. L’homme observe la place centrale et surtout revient en pensée sur sa vie et sa relation avec cette jeune femme. Nu, il l’est physiquement, il le sera beaucoup au long du roman, mais c’est surtout psychologiquement qu’il se dénude face à nous, d’abord face à lui-même.
Depuis son balcon il observe deux petits cireurs de chaussures, essaie de comprendre en quoi consiste leur relation muette (sont-ils des amis si proches qu’ils n’ont pas besoin d’échanger des mots, sont-ils rivaux, se haïssent-ils ?). Ses pensées, guidées aussi par la tequila qu’il absorbe, l’amènent à la multiplicité de l’être humain : les différents hommes dont il est constitué sont aussi insondables pour lui que ces gamins dont il ne connaît que le nom.
Il fait seul l’excursion obligée à Monte Albán et, en se plongeant dans le passé de la métropole zapotèque, il ne parvient qu’à errer dans son propre passé, aussi mystérieux et multiple que ces ruines prestigieuses.
Tout est multiple, l’homme qui est au centre du récit, ses motivations, ses plaisirs : écrire, voyager, conquérir des femmes, ou plus exactement des corps de femmes, au moins les plaisirs sont communs à tous les hommes qu’il a été et qu’il reste.
Cette analyse intérieure se fait en parallèle avec une autre, celle de ce couple boiteux qu’il forme avec Finlande : ils sont venus dans ce lieu éloigné de tout ce qui les touche l’un et l’autre pour prendre une décision à propos de leur avenir commun. L’indisposition de la femme nordique laisse l’homme seul, en proie à cette analyse implacable de sa propre réalité.
Tout est multiple, mais pour le lecteur rien n’est compliqué ou rébarbatif : Federico Jeanmaire parvient brillamment à nous faire entrer dans ce réseau de pensées et de sensations, à cette incompréhension globale du mystère fondamental : qu’est chacun d’entre nous ?
Christian ROINAT
Federico Jeanmaire : Vie intérieure, traduit de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon, éd. Joëlle Losfeld, 201 p., 20 €.