Nicaragua surveillée et isolée : le couple présidentiel Ortega-Murillo « s’engage sur la voie d’une dictature totale » 

Dans l’actuel Nicaragua de l’ancien guérillero sandiniste, sept ans après les manifestations massives et sanglantes contre son gouvernement (au moins 355 morts), le discours de Daniel Ortega lors de la prise de fonctions le 10 janvier 2007 résonne aujourd’hui comme l’exemple le plus représentatif du populisme démagogique qui caractérise son règne : (en brandissant un drapeau national) « Ce drapeau appartient aux travailleurs, à la jeunesse, aux femmes. Ce drapeau appartient aux pauvres, au peuple, à tous ceux qui sont prêts à se battre pour la justice. […] Ce drapeau, donc, est à tous les Nicaraguayens. Le peuple est président ici! C’est lui qui doit exercer le pouvoir… » 

L’historien grec Denys d’Halicarnasse avait bien remarqué le malheur caché dans ces discours qui flattent l’opinion publique : Le plus sûr moyen de ruiner un pays est de donner le pouvoir aux démagogues (Antiquité romaines, VI, 20 av. J.-C.). À cet égard, Daniel Ortega, dont la première présidence remonte à la période 1985-1990, et après trois réélections successives controversées – 2011, 2016, 2021– a réussi à transformer le pouvoir du peuple en « État policier », selon un rapport de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH). Celui qui comptait jadis avec le soutient inconditionnel de la gauche internationaliste est à la tête d’un régime « népotique et corrompu ». 

Depuis les journées interminables de répression aux manifestations massives d’avril 2018, sa poigne de fer sur ses rivaux politiques visant la présidence se resserre non seulement sur les voix des personnalités de la société civile, dont beaucoup ont été contraintes à l’exil : des défenseurs des droits humains, des ONG, des journalistes et des médias indépendants, sans oublier des évêques et autres membres de l’Église qui sont surveillées systématiquement par l’oeil omniprésent du Big Brother orteguiste. Le contrôle total sur la population est une réalité quotidienne depuis la mise en place d’un réseau de surveillance capable d’identifier mécontents, dissidents, fonctionnaires publiques perçus comme une menace latente pour la stabilité du régime. Selon un rapport déposé en Genève par l’ONG Colectivo Nunca Más, ce système d’espionnage est géré par une logistique où concurrent les forces armées, la police, le ministère de l’intérieur, l’Institut Nicaraguayen de Télécommunications et la Poste (Telcor), le ministère de la santé et des groupes armés paramilitaires.

Ce qui se passe, à l’heure actuelle, rappelle les années 1980 avec l’arrivé au pouvoir des sandinistes conduits par le jeune guérillero d’alors, Daniel Ortega. Devenus les maîtres de la armée et de la police, ils se sont imposés par la force à l’ensemble de la population. Leur objectif : instaurer une nouvelle forme de dictature dans ce pays -le plus grand en Amérique Centrale après le Mexique – qui n’avais jamais réussi vraiment à consolider les bases de la démocratie (la dynastie d’Anastasio Somoza est la plus longue – 1937-1978 – d’une série de dictatures qui jalonnent l’histoire agitée du Nicaragua depuis celle de José Zelaya en 1893). La dérive totalitaire de Daniel Ortega et ses acolytes fut très tôt dévoilée par Washington (soutien historique de la dynastie Somoza) : « Les sandinistes se sont débarrassés des autres courants de la révolution et ont  violé les promesses (de démocratie) sur la foi desquelles l’Organisation des États américains leur avait accordé son soutien. », a déclaré Ronald Reagan pendant la conférence de presse du 21 février 1985.

Cette esquisse d’un modèle totalitaire est désormais devenu réalité, et le binôme de fer Ortega-Murillo tente de se perpétuer au nom de la sacro-sainte liberté anti-impérialisme yankee (en faveur du néo-impérialisme chinois). Or, paradoxalement, cet idéal n’est réalisable qu’en soumettant le peuple aux affres d’une dictature totale. Sur ce point, l’ONU a tiré la sonnette d’alarme, car la récente réforme de la Constitution n’a d’autre finalité que de renfoncer le clan présidentiel en éliminant la division de pouvoirs. Reed Brody, spécialiste dans la défense des victimes des régimes dictatoriaux (Augusto Pinochet et Hissène Habré parmi d’autres), est membre du Groupe d’Experts en Droits Humains des Nations Unies. Surnommé « le chasseur de dictateurs », cet avocat d’origine hongrois vient de déclarer que la réforme constitutionnelle est « caractéristique d’une monarchie absolue», et il précise : « Il y a d’autres pays où il y a eu plus de meurtres. Il y a d’autres pays où la torture est plus répandue. Mais, malheureusement, le Nicaragua s’engage sur la voie d’une dictature totale, sans voix dissidentes, sans ONG, sans presse indépendante. » Brody souligne que Rosario Murillo et Daniel Ortega, « qui autrefois ont lutté contre une dictature familiale (Somoza), ont maintenant perfectionné et institutionnalisé une dictature de leur propre famille. »

Le clan Ortega et ses sbires se sont ainsi transformés en ce monstre qu’ils sont venus combattre. Cela à l’instar de ses alliés qui, arborant également l’oriflamme de la Liberté, ont donné naissance au cauchemar social, politique et économique qui a le plus marqué l’Amérique latine au XXe siècle : Cuba castriste et le Venezuela chaviste. Leur trait caractéristique, le dénominateur commun avec le Nicaragua, est l’avidité toujours grandissante de ses richissimes dirigeants qui s’emparent du peuple comme otage. À ce propos, pour mieux cerner la crise démocratique qui frappe actuellement le Nicaragua, voici les principaux indicateurs de ces deux derniers mois : blocage des sites web de medias locales (La Prensa, 100% Noticias, Confidencial y Onda Local); interdiction d’organisations civiles (plus de 3 000 ces dernières années); retrait de la Cour centraméricaine de justice (CCJ), l’institution principale du « Système d’intégration centraméricain depuis 1994; élimination du statut de « vice-présidente » de l’épouse de Daniel Ortega, la « conflictuelle et manipulatrice » Rosario Murillo, pour beaucoup la véritable numéro un du pays : nommée officiellement « co-présidente » et cheffe des Forces armées de la nation. 

Une loi approuvée par le Parlement sandiniste, le 27 mars dernier,  confère au couple présidentiel le contrôle de la Cour suprême de justice. L’inexistence d’institutions indépendantes, c’est purement et simplement la fin de l’État de droit. Àcela s’ajoute un isolement accru du pays, après le retrait de l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM) et de l’Organisation internationale du Travail (OIT). Le Nicaragua s’est également retiré du Conseil des droits humains (DDHH) après la dénonce de cette branche intergouvernemental de l’ONU sur l’existence d’une « machine de répression ». 

Dans ce contexte apocalyptique et dans le cadre du septième anniversaire des manifestations meurtrières d’avril 2018, des opposants exilés affirment que Rosa Murillo et Daniel Ortega sont conscients de leur grande faiblesse. C’est le cas du groupe Concentration démocratique nicaraguayenne: « Les co-dictateurs savent qu’ils sont vaincus, ils sont auto-approuvé une nouvelle Constitution et de nouvelles lois répressives pour cette raison, et ils tentent de contrôler la société en augmentant le nombre de membres de l’armée et de la police. » Selon cette ONG, qui se bat pour le retour de la démocratie depuis l’exil conjointement avec un réseau international de soutient à la cause de la liberté au Nicaragua, la justice sauvera de l’oubli la « mémoire historique : les exécutions extrajudiciaires, les tortures, les dénationalisations, les emprisonnements injustes, les procès truqués et les confiscations… […] L’esprit d’avril nous pousse à persévérer dans notre engagement à construire une nouvelle nation. »