Au cours de ses douze années de pontificat, François s’est rendu dans dix pays d’Amérique latine et des Caraïbes (Brésil, Équateur, Bolivie, Paraguay, Cuba, Mexique, Colombie, Chili, Pérou et Panama) sur un total de soixante six nations qu’il a visitées lors de ses voyages apostoliques à travers le monde.
Lors de cette visite à Rio de Janeiro, le pape a critiqué l’inaction du clergé, a appelé à la récupération des fidèles qui se sont convertis à l’évangélisme ou qui ont quitté la religion, et a demandé aux catholiques de se rendre dans les bidonvilles ou favelas des villes, dont l’une a été visitée à cette occasion. « Je veux que l’Église sorte dans la rue », a-t-il déclaré. « Si elle ne sort pas, elle devient une ONG. Et l’Église ne peut pas être une ONG ». Le pape est donc plus présent dans la région que son prédécesseur immédiat, l’Allemand Benoît XVI, qui ne s’est rendu que dans trois pays au cours de ses huit années de pontificat, jusqu’à sa démission en 2013. François n’est toutefois jamais retourné officiellement dans son pays d’origine, l’Argentine, en tant que pape, ce qui a frustré bon nombre de ses compatriotes. Mais son importance en Amérique latine est allée au-delà de ses voyages et de ses sermons.
Son encyclique Laudato Si, publiée en 2015, a trouvé un écho dans la région car c’était la première fois qu’un pape consacrait un tel document à la protection de l’environnement, soulignant la responsabilité des pays riches, des grandes entreprises et du système économique mondial dans le changement climatique et la pauvreté générée par la surexploitation des ressources naturelles. La médiation de François pour normaliser les relations entre les États-Unis et Cuba en 2014, après plus d’un demi-siècle d’hostilités, comprenait des négociations secrètes au Vatican et des messages directs de sa part aux présidents de l’époque des deux pays, Barack Obama et Raúl Castro, qui ont plus tard remercié le pontife en personne pour son aide. Cependant, plusieurs de ces changements ont été annulés par le président américain Donald Trump au cours de son premier mandat (2017-2021).
Le pape a également soutenu les négociations de paix entre le gouvernement colombien et la guérilla des FARC, ce qu’a reconnu le président colombien de l’époque, Juan Manuel Santos, qui a reçu le prix Nobel de la paix pour l’accord qui a abouti en 2016. Cette année-là, au milieu d’une grave crise politique et économique au Venezuela, le Vatican s’est également efforcé d’établir un dialogue entre le gouvernement de Nicolás Maduro et ses opposants, mais cette intervention n’a jamais prospéré. François, accusé par les détracteurs de Maduro d’agir avec tiédeur face aux violations des droits de l’homme au Venezuela, a durci son message à l’égard du gouvernement après les élections de 2024, que plusieurs pays ont qualifiées de fraude pour maintenir le président au pouvoir. « Les dictatures sont inutiles et finissent mal, tôt ou tard », a déclaré le pape en septembre de la même année, en réponse à une question sur son message aux Vénézuéliens, sans nommer directement le gouvernement Nicolas Maduro.
Défis et scandales
Bergoglio a pris la tête d’une Église confrontée à de grands défis et à des crises, dont deux concernent directement l’Amérique latine : la baisse du nombre de fidèles et les scandales d’abus sexuels au sein de l’institution. Ces deux problèmes ne semblent pas résolus. Selon les chiffres du Vatican publiés en octobre, il y aura 1,389 milliard de catholiques dans le monde à la fin de 2022, la plupart d’entre eux (64 %) se trouvant sur le continent américain. Si ces chiffres montrent une augmentation du nombre de fidèles sur le continent, d’autres études font état d’un déclin constant en Amérique latine, l’une des régions les plus catholiques : deux personnes sur cinq y vivaient au début du pontificat de François.
Les personnes se déclarant catholiques en Amérique latine sont passées de 80 % de la population en 1995 à 54 % en 2024, selon l’enquête régionale Latinobarómetro. Cette baisse s’est maintenue pendant le pontificat de François, puisqu’en 2013 les catholiques représentaient 67 % de la population latino-américaine, selon la même enquête. Dans le même temps, le nombre d’évangéliques (23 % en 2024) et de personnes vivant sans religion (19 %) a augmenté dans la région. « Malgré le lien culturel et spirituel profond du pape François avec son Amérique latine natale, il n’a pas été en mesure d’enrayer le déclin rapide du catholicisme dans la région », explique M. Chesnut.
Parmi les causes de ce phénomène, il cite la concurrence des églises pentecôtistes et « les scandales de corruption et d’abus sexuels commis par des clercs, qui ont encore érodé la confiance dans l’Église catholique, en particulier chez les jeunes ». François a donné des signes précoces qu’il s’attaquerait à ces problèmes. Avant son premier voyage au Brésil, il a durci les peines prévues par l’État du Vatican pour les crimes sexuels commis sur des mineurs et a ensuite autorisé les poursuites pour « abus de pouvoir » à l’encontre des autorités ecclésiastiques qui ont couvert des prêtres accusés de tels crimes.
Mais les scandales ont continué
En 2018, l’ensemble de la conférence épiscopale chilienne a présenté sa démission à la suite de l’affaire de l’évêque Juan Barros, accusé d’avoir couvert des abus sexuels. François a souligné la responsabilité collective des évêques chiliens dans la gestion de ces affaires et a reconnu qu’il avait lui-même commis une grave erreur de jugement en défendant Mgr Barros lors d’une visite papale au Chili au début de l’année. Plus récemment, en janvier, le pape a pris une autre mesure inhabituelle en dissolvant le mouvement catholique Sodalitium Christianae Vitae au Pérou, à la suite d’une enquête sur des agressions sexuelles et physiques commises par ses dirigeants sur des dizaines de jeunes hommes victimes d’abus sexuels.
François a conservé une cote de popularité élevée en Amérique latine, qui pourrait faire l’envie de nombreux hommes politiques, mais les sondages ont également révélé une baisse de quelques points de la cote de popularité positive au cours de son pontificat. Une enquête du Pew Research Center portant sur plusieurs pays de la région a indiqué en septembre que le pourcentage de catholiques ayant une opinion favorable du pape avait diminué en dix ans : les baisses les plus marquées ont été enregistrées au Chili (moins 15 points, à 64 %) et en Argentine (moins 24 points, à 74 %). Le même sondage a montré qu’une grande majorité des catholiques interrogés dans ces deux pays, ainsi qu’au Brésil, au Mexique, en Colombie et au Pérou, souhaitent que l’Église leur permette d’utiliser la contraception.
Toutefois, François s’en est tenu à la position traditionnelle de l’Église contre la contraception ou l’avortement, qui, pendant son pontificat, a été légalisé dans son pays natal, l’Argentine, et dépénalisé en Colombie et au Mexique. Le souverain pontife a envoyé quelques signaux, comme l’autorisation donnée aux prêtres de pardonner aux femmes ayant avorté, ou de dire qu’« être homosexuel n’est pas un crime », mais sans changer la position de l’Église, qui considère ces pratiques comme des péchés.
Griselda Mata, coordinatrice du réseau latino-américain Catholics for the Right to Decide, estime que François a rapproché l’Église des réalités sociales, du respect de la diversité sexuelle et de l’inclusion. « Malgré la dette historique de l’Église catholique envers les femmes condamnées pour l’avortement, la violence religieuse, les droits sexuels et reproductifs et l’interdiction de l’ordination des femmes à la prêtrise, a déclaré Mme Mata à BBC Mundo, nous apprécions les efforts du pape François pour construire la paix avec la justice sociale.
En fait, au cours de ces douze années, le pape a montré des signes de changement dans l’Église sans nécessairement modifier la doctrine catholique. En visite en Bolivie en 2015, il a demandé pardon « non seulement pour les délits de l’Église elle-même, mais aussi pour les crimes commis contre les peuples indigènes lors de la soi-disant conquête de l’Amérique ». Huit ans plus tard, le Vatican a répudié la « doctrine de la découverte » utilisée à l’époque coloniale pour justifier les conquêtes européennes en Amérique et en Afrique.
Certains experts ont toutefois souligné que cette déclaration évitait de faire référence à une révocation des bulles papales (décrets) qui soutenaient cette doctrine, ou à la notion de supériorité du christianisme qui la sous-tendait également. En septembre, le pape a pris une autre décision historique en transférant le siège primatial d’Argentine de Buenos Aires à Santiago del Estero, premier berceau du catholicisme sur le territoire de ce pays. Tout indique que, tant dans son pays que dans toute l’Amérique latine, le pape François a laissé un héritage de changement et de continuité dans l’Église.
D’après les Agences
Traduit par nos soins