Les éditions Globe vient de publier « Là où je n’ai plus pied » de l’écrivaine argentine Belén López Peiró

Une fois que Belén a parlé, il n’y a plus de retour en arrière possible. C’est la parole, plus que l’acte dénoncé, qui fait voler en éclats la famille. Face à la révélation de l’inceste, les voix s’élèvent. Chacun a quelque chose à dire pour essayer de rendre l’inacceptable tolérable et justifier les abus de l’oncle policier. Plus tard, lors de la préparation du procès, c’est encore la parole de Belén qui est remise en cause. Pour espérer être entendue par la justice, il faut transformer ses traumatismes en récit et faire remonter à la surface les moindres détails du passé, au risque de perdre pied…

En faisant habilement dialoguer les voix des proches et le langage déshumanisé des institutions policières, judiciaires et médicales, Belén López Peiró crée une polyphonie étourdissante qui révèle toute la violence à laquelle est confrontée celle qui ose demander justice. Là où je n’ai plus pied documente les difficultés de la procédure judiciaire, le combat jusqu’à l’épuisement en quête de réparation et le caractère collectif de la maltraitance.

Un procès n’est pas seulement un moment, mais la conséquence d’une procédure judiciaire qui peut durer très longtemps. C’est ce que décrit aujourd’hui Belén López Peiró. Son livre en forme de journal de bord est un précieux témoignage où elle partage ses questionnements, découragements, espoirs, raconte les embûches mais aussi les soutiens que peut rencontrer une femme qui a décidé de dénoncer des abus sexuels subis dans son enfance.

Les éditions Globe ont choisi de joindre à ce nouveau texte le premier livre de l’autrice argentine, Pourquoi tu revenais tous les étés ? (2022). Dans ce roman choral qui donnait voix à ses proches, l’autrice, violée enfant par son oncle, racontait à la fois un phénomène d’emprise et un aveuglement familial. Là où je n’ai plus pied commence au moment elle va porter plainte. Après la multitude de points de vue agencée dans son roman précédent, López Peiró nous entraîne au pas de charge dans une course d’obstacles. Elle consigne les conversations avec sa mère, son avocate, ses soutiens, son petit ami, liste les questions qui surgissent. Entre les paragraphes elle incruste des documents, photos, schémas, mais aussi les textos qu’elle reçoit au moment même où elle écrit. López Peiró montre l’attitude de la police, des médecins, chaque protagoniste étant désigné par son statut, en lettres majuscules – “le JUGE”, “l’AVOCAT”, “le GREFFIER” –, et on voit cette jeune femme qui ne connaît rien aux subtilités du système judiciaire découvrir la complexité de ce qu’elle affronte.

Peu à peu, un militantisme sororal se met en place. Des inconnues, dont une jeune avocate qui propose gracieusement ses services, s’organisent pour l’aider à se préparer avant l’audience mais aussi régler des questions pratiques – comme trouver un logement gratuit dans la ville où se tiendra le procès. Car López Peiró, née en 1992, est alors étudiante et n’a pas d’argent. C’est pendant cette période qu’elle écrit Pourquoi tu revenais tous les étés ? et provoque une déflagration dans son pays : “Depuis la publication du livre, chaque jour en me levant je reçois des messages de femmes.” La procédure a duré neuf ans et l’oncle a été condamné à une peine de dix ans de prison. “À partir de maintenant, je vais commencer à écrire autre chose”, conclut Belén López Peiró.