Après On adorait les cowboys, édité aux éditions Belfond, Carol Bensimon s’inspire d’un fait divers réel pour nous raconter un Brésil en crise, conservateur, mais aussi d’une fascinante beauté mélancolique. Entre roman d’apprentissage et roman policier, Au pays du dieu animal nous plonge dans un univers trouble de relations brisées, de secrets et de violence. Elle est pressenti parmi les auteurs latino-américains invités au festival littéraire Belles Latinas de novembre prochain.
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1978, 2018, 1988, trois dates qui sont en quelque sorte l’ossature de la vie de Cecília Matzenbacher, née en 1978 dans une ville de la province brésilienne, fille d’un député au moment où la longue dictature s’affaiblit et va céder la place. En 2018, elle vit à Oakland, aux États-Unis où elle exerce la profession de taxidermiste dans des musées. Depuis seize ans elle a refusé de retourner au Brésil, entretenant des relations assez distantes avec ses parents et ses deux frères mais sans avoir coupé les liens. Que s’est-il passé en 1988 ? On le découvrira peu à peu.
Le roman avance par des scènes isolées dans le temps mais qui se répondent : une vie quotidienne, assez banale, d’une famille, les Matzenberger, un père peu présent, à cause de ses activités politiques, une mère au contraire attentive à ses enfants, deux garçons et une fille qui jouent et se disputent, d’une part. Et d’autre part les rapports de couple que Cecília entretient avec Jesse, un musicien un peu marginal et ses travaux sur les animaux. Elle n’est pas entièrement consciente de la contradiction de sa vie, elle qui défend la nature et travaille sur des animaux tués souvent sans justification, et ce n’est pas sa seule contradiction. Peu à peu le mystère qui a bouleversé l’existence familiale paisible se révèle, et la vérité apparaît, comme les traumatismes qui ont éprouvé chacun des membres de la famille.
Carol Bensimon fait montre d’une exceptionnelle maîtrise pour faire qu’une histoire d’une très grande variété de thèmes se lise avec la plus grande fluidité : tout est passionnant, la description d’une famille brésilienne des années 1980, les sursauts d’une société contradictoire, qui se veut en pleine modernisation et qui refoule par des non-dits des réalités encore choquantes, la partie documentaire sur la meilleure façon de donner l’apparence de la vie à des animaux morts, le suspense policier vu de l’intérieur familial, la psychologie d’une finesse rare, qu’elle concerne des adultes ou des adolescents et l’émotion, omniprésente.
La psychologie va au fond le plus secret de chaque personnage, tous souffrant en silence et essayant pourtant de faire bonne figure, tous cachant ce que Cecília, la narratrice, peut enfin nous révéler après trente ans d’une enquête qui la mine aussi mais qui est nécessaire et qui la grandit. On n’est que début mars, et je suis prêt à parier que Au pays du dieu animal restera comme le ou un des meilleurs romans latino-américains de 2025.
Christian ROINAT
Americanostra
Au pays du dieu animal, de Carol Bensimon, traduit du portugais (Brésil) par Dominique Nédellec, éd. Belfond, 288 p., 21,50 €, éd. numérique 14,99 €.