La coopération Inde-Amérique latine : Gabriel Boric sera en Inde en passant par Bombay et son cinéma…

Gabriel Boric, président du Chili effectue du 31 mars au 6 avril 2025 un tour de l’Inde passant par Bombay, « Mecque » de la comédie musicale locale, Bollywood. Le monde du cinéma chilien est dans les malles de la délégation chilienne : Association des producteurs de cinéma et de télévision, Corporation chilienne du documentaire, Atacama Film, et même une actrice indo-chilienne, Jennifer Mayani. L’agenda festif latino-américain de Bolivie à la République Dominicaine a en effet pris des couleurs indiennes ces dernières années. Holi, la fête des couleurs, fête du printemps, s’est greffée avec succès sur le tronc chrétien du carnaval. Il y avait en février dernier à Rio de Janeiro, sur la plage d’Ipanema, un char, sanctifiant cette confluence colorée. Jyoti Kiran Shukla, directeur du Centre culturel indien, a revendiqué l’initiative avec une grande conviction. « L’idée a été de faire passer l’énergie vibrante de Bollywood au carnaval brésilien ».

Le Pérou, et plus particulièrement la ville d’Arequipa, le célèbrent avec une particulière empathie. La fête de Holi est suivie, ou précédée, le 15 août, d’un festival de cinéma et de danse bollywoodiens. Participe à son animation la Communauté Bollywood locale, d’une dizaine de groupes, répliquant les ballets constitutifs des comédies musicales à l’indienne. L’un de ses membres, Johan Rojas, est connu comme le « Shahrukh Khan Arequipeño ». Shahruhk Khan est pour les non-initiés, l’étoile des écrans de Bombay.

Tout cela est sans doute permet de rapprocher les cultures et les peuples. Mais qu’en est-il des économies ? Les décideurs ont en tête un scénario qui après une ouverture sur la danse et les images permettrait de passer à un acte II, économique et commercial. Leonardo Ananda, président de la Chambre de commerce Inde-Brésil, (CCIB), a très clairement signalé « qu’au-delà de l’enrichissement culturel, il faut penser à rapprocher brésiliens et indiens pour produire des dividendes économiques mutuellement profitables[1] ».

Les visites de travail, l’annonce d’accords bilatéraux, et d’investissements se sont multipliés, en marge de Holi. En 2022 l’Inde a rehaussé la qualité de ses rapports avec les trois latino-américains membres du G-20, l’Argentine, le Brésil et le Mexique. Le ministre des Affaires étrangères indien, Subrahmanyam Jaishankar, s’est rendu dans ces trois pays en 2022. Il a effectué en avril 2023 un deuxième déplacement en Colombie, à Panamá, en République Dominicaine et au Guyana.

Les contacts se sont plus particulièrement densifiés entre Brasilia et La Nouvelle Dehli. Le Premier ministre indien, Narendra Modi, et son homologue brésilien, Luiz Ignacio Lula da Silva ont convenu, le 10 septembre 2023 de renforcer leurs liens diplomatiques, économiques et militaires. Cet engagement a été renouvelé un an plus tard par les deux responsables. Le diplomate indien Saurabh Kumar, au cours d’une visite à Brasilia destinée à concrétiser ces bonnes intentions, a fait la déclaration suivante : « J’espère renforcer notre dialogue mutuel dans divers secteurs clefs, commerce, énergie, technologie, santé (..) le Brésil est un partenaire stratégique (..) Nous avons une vision globale commune, nous partageons des valeurs démocratiques, une volonté de développement pour nos peuples, identique ».

Avec les autres latino-américains, on note aussi une montée en puissance de contacts, centrés sur le commerce et l’économie. Le Pérou va bientôt signer avec l’Inde un traité de libre-échange.  De la capitale indienne, Desilu León, ministre péruvienne du commerce extérieur, a signalé à la presse que les deux pays négociaient un traité de libre-échange qui pourrait aboutir en fin d’année 2025. Le Chili joue la même partition. Le président Boric a du 30 mars au 6 avril 2025, comme signalé, effectué un déplacement officiel à La Nouvelle Dehli, accompagné de six ministres, d’une délégation parlementaire, de plusieurs chefs d’entreprise, pour actualiser les accords commerciaux entre les deux pays. Il participera parallèlement à une manifestation de promotion du Chili comme plate-forme audiovisuelle, Shoot in Chile, à une rencontre entre acteurs de l’agro-alimentaires des deux pays, et enfin à une conférence d’innovation et de technologies nouvelles, dite « Innovation Summit ». On note des déclarations d’intention voisines en Argentine, Colombie, au Guatemala, et au Panama.

Ces visites ont eu des retombées concrètes. En Argentine l’entreprise publique indienne KABIL (Khannij Bidesh India Ltd, a signé en 2024 un contrat d’exploitation de lithium. Le pétrolier, YPF, a paraphé en janvier 2025 un accord de livraison de gaz liquéfié avec Oil India. Brésil et Inde ont annoncé en février 2025 via leurs entreprises compétentes, Petrobras et Bharat Petroleum, la livraison de pétrole brésilien. Les deux pays étudient la possibilité d’un investissement conjoint en Bolivie pour construire une usine fabriquant des batteries au lithium.

La Fédération des exportateurs indiens et son homologue panaméen se sont accordés pour développer des projets conjoints concernant la logistique, la distribution, et le stockage. Une entreprise de Bollywood, « Eros International, » a passé un accord visant à réaliser des films à Panama, avec Pacific Investment Panama Corporation. Venezuela et Inde ont négocié en février 2025 une convention de coopération numérique. 

Est-ce que tout cela, les intentions gouvernementales et la signature d’accords économiques et commerciaux, ont permis d’accroitre le volume des échanges et les coopérations. Le président de la CAF, la Banque de développement de l’Amérique latine et de la Caraïbe, dans une note de son institution, s’est félicité des potentialités futures, ce qui est aussi une façon de relativiser un état des lieux. C’est vrai, les échanges sont en phase ascendante. L’Inde a été pour l’exercice 2022-2023 le cinquième partenaire de l’ensemble latino-américain, en croissance de 17 %. 

La demande indienne en cuivre et en or a sensiblement augmenté. La guerre en Ukraine a conduit l’Inde à réorienter son commerce extérieur, notamment vers l’Amérique latine. Le Brésil, plus que tout autre pays, est à l’origine de cet essor relatif. Ses exportations vers La Nouvelle Dehli ont cru de 38 %, et ses importations de 54 %. Alimentent ces échanges pétrole, voitures, produits pharmaceutiques, et agrochimiques, huile de soja. En 2023 l’Inde a exporté vers le Brésil beaucoup plus que vers l’Allemagne, l’Australie, la Corée du sud, ou l’Indonésie.

Un élan a été pris. La politique étroitement nationaliste du président des Etats-Unis, Donald Trump, devrait accentuer cette évolution. Les politiques visant à renforcer l’autonomie à l’égard des États-Unis et de la Chine, sont partagées. Entre « L’autonomie stratégique [2]» de l’Inde et le « Non-alignement actif » de l’Amérique latine, il y a l’espace d’une feuille de papier[3]. Mais à la différence de la Chine La Nouvelle Dehli n’a pas investi le champ des multilatéralités latino-américaines. Elle n’a pas de relations institutionnalisées avec, l’Alliance du Pacifique (Chili, -Colombie-Mexique-Pérou), la CELAC, (Communauté des États d’Amérique latine et de la Caraïbe) avec la Can, (Communauté Andine des Nations), avec le Mercosur. Elle n’a pas créé à la différence de la Chine, de l’Espagne, de l’Italie et de l’Allemagne un forum bilatéral avec les latino-américains.

La dynamique des échanges avec le Brésil est là pour montrer qu’elle s’appuie sur diverses institutions partagées, BRICS, G-20, IBAS (Inde-Brésil-Afrique du Sud). Et que la négociation de traités bilatéraux avec le Chili et le Pérou a bénéficié des « conclaves Inde-Amérique latine » organisés régulièrement par la CEPALC (Commission Économique des Nations Unies pour l’Amérique Latine et la Caraïbe).