« Manas », film brésilien de Marianna Brennand

Dans ce paysage paradisiaque magnifiquement filmé, nous rencontrons Marcielle, surnommée Tielle (la jeune actrice débutante Jamilli Correa), une jeune fille de treize ans, vit avec sa famille dans une maison sur pilotis au milieu des mangroves, monte dans les arbres cueillir des acérolas, va à l’école en pirogue-bus et prépare un spectacle de danse. Mais ce portrait idyllique de la vie dans cette petite communauté autonome commence à se fissurer par de petits détails : la disparition de la sœur ainée, le ventre trop arrondi d’une camarade de classe, puis le hamac de Tielle mystérieusement déchiré. (…)

Manas est un film sur le silence. Le silence de l’école, qui supprime des livres de biologie tout ce qui pourrait aider les jeunes à comprendre et protéger leur corps, ce qui enferme les filles puis les femmes dans la dépendance à cause de grossesses trop précoces et trop nombreuses dont elles comprennent à peine comment ça leur arrive. Le silence de l’église, qui porte au pinacle la cellule familiale et donne tout pouvoir aux pères sur les corps des femmes et des enfants pour en user comme bon leur semble.

Le silence des adultes qui disent « Il y a des choses qu’on ne peut pas changer » ou bien « ça va passer », dans un découragement coupable, comme si ce cycle qui se perpétue de génération en génération était normal. Enfin l’impuissance de l’Etat, qui même lorsque des plaintes sont déposées et que la police intervient, a des moyens si dérisoires que les hommes reprennent vite le contrôle. Et comme tout dans le film est silence, il ne reste que des regards pour transmettre les émotions: la peur, le dégoût, la luxure, la rage, l’impuissance… Les regards de la mère, Danielle (Fátima Macedo), quasi muette par ailleurs, sont ceux qui crient le plus fort après ceux de  Tielle. En cela, les acteurs et actrices délivrent une performance remarquable.

Mais parmi tous ces regards, il y a aussi de la complicité et de l’espoir. « Manas » en portugais, cela veut dire « sœur » et c’est de sororité et de courage que ce film parle également. Les femmes, surtout les plus jeunes, s’entraident et cherchent à se protéger entre elles : les amies se donnent de maigres conseils, la sœur ainée protège la plus jeune, l’officière de l’état civil fait de son mieux pour palier aux défauts du système et permettre à Tielle de rester encore un peu l’enfant qu’elle est encore.

Le sujet difficile, qui est loin d’être cantonné aux communautés reculées d’Amazonie, comme l’actualité nous le rappelle régulièrement et cruellement, est abordé dans ce film dans toute sa complexité et délivre un message d’espoir. Le geste ultime et désespéré de Tielle est la preuve de l’échec de tous les autres recours dont elle disposait. Mais le film nous offre un portrait de jeunes filles déterminées à prendre leur destin en main pour changer leurs conditions de vie et terminer le cycle de la violence.