Depuis le 20 janvier dernier, les décrets, les arrêtés et les messages sur le réseau Truth social appartenant à Donald Trump inondent quotidiennement tous les domaines de la vie nationale et internationale. Une décision prise le matin peut être suspendue, reportée ou annulée le soir même. La distinction entre communication effrénée, fake news et actes de gouvernement devient difficile. Depuis le bureau ovale de la Maison Blanche, les décisions annoncées par rafales provoquent sidération et désorientation parmi les gouvernements, les médias, les tribunaux, les populations ciblées et les opinions internationales.
Photo : DR
Trois thèmes essentiels de la campagne présidentielle américaine retiennent l’attention : le pétrole, l’immigration, la guerre contre la criminalité organisée. Donald Trump a promis de lancer « le plus grand programme d’expulsions de l’histoire américaine ». Depuis son retour au pouvoir le 20 janvier, la Maison Blanche s’est targuée de l’arrestation de centaines de « migrants criminels illégaux », soulignant qu’ils avaient été expulsés par avions militaires. Le président américain a décrété dès le premier jour de son mandat un état d’urgence national à la frontière avec le Mexique pour lutter contre l’immigration. Il a également chargé l’armée de contribuer à la sécurité des frontières, suspendu les entrées de migrants demandant l’asile et pris des mesures pour restreindre le droit du sol, contestées en justice.
Les projets d’expulsions massives de migrants ont placé Donald Trump dans une posture d’affrontement avec les pays d’Amérique latine, le Mexique notamment, d’où sont originaires la plupart des quelque 11 millions de sans-papiers que comptent les États-Unis. La Colombie a subi les ukases trumpistes parmi les premiers. Dans des déclarations à la chaîne de télévision Univision Noticias, le président colombien Gustavo Petro a affirmé que son gouvernement ne permettrait pas que les migrants expulsés voyagent menottés dans des avions militaires. Le premier président de gauche de l’histoire de la Colombie a accusé son homologue américain de « criminaliser » les migrants sans papiers. « Cette attitude visant à criminaliser des groupes de population pour obtenir les applaudissements d’une majorité est exactement la même que celle utilisée par Hitler envers les Juifs », a-t-il ajouté au sujet des conditions du transfert des Colombiens. Pendant ce temps une pluie de menaces, d’expulsions militarisées et de sanctions s’abattent sur plusieurs pays, comme le Pérou et le Brésil.
Le Venezuela, entre chaud et froid
Au Venezuela, les mesures américaines annoncées depuis le 20 janvier soufflent le chaud et le froid et désorientent le pouvoir en place comme l’opposition. Au sujet du pétrole vénézuélien Trump annonçait : « nous n’avons pas à l’acheter », semant le doute sur le fait qu’il pourrait se l’accaparer par la force ou maintenir l’embargo quasi-total en vigueur depuis 2014. Toutefois, le 31 janvier 2025, le président vénézuélien Nicolás Maduro reçoit au palais de Miraflorès Richard Grenelle, l’envoyé spécial du président américain. Il a obtenu la libération de six prisonniers américains et que le Venezuela accepte le retour depuis les États-Unis d’immigrants illégaux, et notamment de membres du gang vénézuélien Tren de Aragua. Des images de poignées de mains chaleureuses entre les deux hommes sont abondamment diffusés dans les médias vénézuéliens contrôlés par le pouvoir et accompagnés de commentaires optimistes du président vénézuélien. Les spéculations vont bon train et portent sur un possible troc du pétrole vénézuélien exploité par Chevron, entreprise américaine, contre l’expulsion au Venezuela de migrants en situation illégales. On en compterait entre 600 000 et 700 000 aux États-Unis.
La réaction outrée de l’opposition est immédiate car elle voit dans ces ententes supposées une légitimation de Nicolás Maduro à la tête du pays pour un troisième mandat de six ans. Edmundo González, candidat de l’opposition à la dernière présidentielle, avait exhorté Donald Trump à ne pas conclure d’accord avec Caracas. L’homme de l’opposition avait été reconnu par l’administration Biden comme « le président élu ». Il a obtenu l’asile politique en Espagne et n’est pas retourné au Venezuela au moment de l’investiture de Nicolás Maduro, le 10 janvier dernier, investiture qu’il prétendait recevoir le même jour à Caracas. Ces ententes bilatérales supposées – et le dépit de l’opposition vénézuélienne mise hors-jeu font dire aux experts les plus avisés que « malgré la rhétorique, les États-Unis ont pratiquement reconnu Maduro comme président » (International Crisis Group).
La question migratoire
Au total, avec la logique mercantiliste du nouveau président américain et le cynisme des deux chefs d’État, l’opposition vénézuélienne en vient à penser qu’avec la nouvelle administration américaine les intérêts commerciaux et un pétrole à bas coût, prévaudront sur la démocratie et le respect des droits de l’homme. Elle dénonce également la décision de Donald Trump d’annuler la prolongation du statut de protection dont bénéficiaient les Vénézuéliens arrivés aux États-Unis, essentiellement depuis 2014, statut accordé aux étrangers dont la sécurité n’est pas assurée dans leur pays d’origine et qui avait été prolongé par Joe Biden quelques jours avant son départ. Depuis plusieurs mois, les Vénézuéliens constituent la majeure partie des migrants retenus à la frontière mexicaine avec le concours du gouvernement et de l’armée mexicaine.
Cependant, l’hypothèse d’une entente américano-vénézuélienne vole en éclat dès le 6 février : en moins d’un an, un deuxième avion vénézuélien est saisi par les États-Unis sur le tarmac de l’aéroport de Santo Domingo (République Dominicaine) où Marco Rubio, le ministre du Département d’État, achève sa première tournée en Amérique latine. « La saisie de cet avion vénézuélien, utilisé pour échapper aux sanctions américaines et pour le blanchiment d’argent, est un exemple puissant de notre détermination à tenir le régime illégitime de Maduro responsable de ses actions illégales », a écrit M. Rubio sur X. « Nous continuerons à contrecarrer toute manœuvre visant à échapper aux sanctions américaines », a-t-il ajouté.
C’est une douche froide pour le président Nicolás Maduro qui s’attendait après les accords initiaux conclus avec l’envoyé spécial américains quelques jours plus tôt, de « construire un agenda zéro » et un « nouveau départ » dans les relations bilatérales entre les deux pays. « Je peux dire que cela a été positif. Il y a des questions sur lesquelles nous sommes parvenus à des accords initiaux », avait-il dit sans donner de détails. Maduro est mal payé de son vote au conseil de sécurité sur une résolution sur l’Ukraine, aux côtés des USA, de la Fédération de Russie et de la République de Corée du Nord.
M. Rubio quant à lui a déclaré que la position des USA est inchangée et revient sur la question migratoire. « Le Venezuela reste un sujet de préoccupation pour la sécurité nationale des États-Unis » car l’implosion de son économie entraine l’émigration massive. « Le Venezuela est une question de sécurité nationale, et pas seulement d’absence de démocratie », a-t-il déclaré à la presse lors de l’étape au Guatemala de sa tournée latino-américaine. « Il s’agit d’un gouvernement – d’un régime – qui a fait du tort à plus de sept millions de Vénézuéliens et à tous les pays voisins qui ont dû faire face à la réalité de cette migration massive », a-t-il dit en faisant référence au nombre important de Vénézuéliens qui ont quitté le pays d’après des chiffres de l’ONU.
Un point de bascule
Contrairement à la question des migrants, le pétrole vénézuélien ne fait pas l’objet d’annonces officielles bruyantes. Au moment des déclarations du début mois de février, Chevron produisait quelque 200.000 barils-jour, ce qui permettaient au gouvernement vénézuélien de recevoir légalement une manne financière importante voire vitale. La politique de sanctions limitées mise en place par Joe Biden depuis trois ans est stoppée. En effet, Donald Trump a retiré une autorisation pour extraire du pétrole au Venezuela à plusieurs entreprises, dont la plus importante, l’américaine Chevron. Le 1ᵉʳ mars, Chevron ne pourra plus extraire de brut au Venezuela. Cette question des migrants continue d’être activement traitée par l’administration trumpienne. On comprend qu’elle n’a pas été traitée avec le Venezuela pour les Vénézuéliens mais avec le Salvador devenu sous-traitant rémunéré pour les services rendus comme d’autres pays caribéens. Dans son ordre d’expulsion, Donald Trump affirme que Tren de Aragua « menait une guerre irrégulière contre le territoire Trois pays d’Amérique centrale – le Guatemala, le Panama et le Costa Rica ».
En mars, les États-Unis ont expulsé plus de 200 membres présumés du gang vénézuélien Tren de Aragua vers le Salvador, Donald Trump ayant invoqué une législation de temps de guerre datant de la fin du XVIIIe siècle. Elle avait été utilisée pour la dernière fois pendant la Deuxième Guerre mondiale contre des résidents japonais. « Aujourd’hui, un premier groupe de 238 membres de l’organisation criminelle vénézuélienne Tren de Aragua sont arrivés dans notre pays. Ils ont été immédiatement transférés au Centre de détention pour terroristes (Cecot), pour une période d’un an » renouvelable, a annoncé dimanche 16 mars le président salvadorien Nayib Bukele sur X.
Saisi par des défenseurs des droits humains contre cette loi de 1798, un juge a ordonné une suspension de 14 jours de toute expulsion. Mais les trois avions transportant les membres du gang, classé organisation terroriste, avaient déjà décollé. Peu importe, pour le nouveau pouvoir, la justice ne compte plus, seul le leader dicte « la loi », le Président Trump a demandé que le juge soit destitué ! C’est un point de bascule considérable dans la démocratie américaine soucieuse auparavant de la séparation des pouvoirs. La Justice est traitée comme un ennemi politique. La Cour suprême, pourtant majoritairement conservatrice grâce aux nominations effectuées durant le règne de Trump 01, s’est prononcée le 18 mars contre le coup de force présidentiel. C’était inespéré. Une crise constitutionnelle est désormais ouverte aux USA qui s’enfonce dans un régime que beaucoup n’hésitent plus à qualifier de fasciste. Aux plans national et international l’obscurantisme et la violence gagnent du terrain.
Maurice NAHORY