Deux écrivaines à lire et à relire : la chilienne Patricia Verdugo et la française Neige Sinno

Neige Sinno, née à Vars dans les Hautes-Alpes le 22 mai 1977. Elle est une romancière française. Après une thèse en littérature américaine et des études poursuivies aux États-Unis et au Mexique, elle se consacre à l’écriture, exerçant comme traductrice et enseignante de littérature vacataire à l’université. Elle est auteure d’une thèse de doctorat intitulée L’écriture de l’inquiétude dans les nouvelles de Raymond Carver, Richard Ford et Tobias Wolff » soutenue en 2005 à l’Université Aix-Marseille 1. En 2007, Neige Sinno publie son premier ouvrage, un recueil de nouvelles, sous le titre La vie des rats. Elle sort ensuite un essai sur les figures du lecteur, intitulé Lectores entre líneas: Roberto Bolaño, Ricardo Piglia y Sergio Pitol (2011), qui lui permet de remporter le prix Lya Kostakowsky. Son premier roman, Le camion, sort en librairies en 2018.

Le 6 novembre 2023, Neige Sinno remporte le prix Femina 2023 pour son livre Triste tigre, publié aux éditions P.O.L. Le titre fait référence au poème The Tyger, de William Blake. Dans son ouvrage, elle écrit sur les viols perpétrés par son beau-père durant son enfance et son adolescence dans les Hautes-Alpes. Elle a d’ailleurs porté plainte en 2000 contre ce dernier, qui a été condamné à neuf ans de prison. Neige Sinno est sélectionnée pour le prix Goncourt, le prix Médicis et remporte le prix littéraire du journal Le Monde, le prix Les Inrockuptibles, ainsi que le Prix Blù Jean-Marc Roberts. 

« Il n’y a rien de tel que la réalité. » On pourrait dire que ce livre est un récit de voyages dans la réalité ou vers la réalité. Avec un premier voyage, il y a plus de vingt ans, où deux jeunes femmes en sac à dos, Netcha, la narratrice, et Maga, une amie espagnole, essaient de rejoindre un village du Chiapas, au Mexique, appelé précisément La Realidad. « Des sources fiables, dit cette amie, lui assuraient que le Sub, alias le souscommandant Marcos, était à La Realidad […] Marcos est dans la réalité. » Quête autant politique (la rencontre avec les mouvements révolutionnaires zapatistes) qu’initiatique et intime. Si les deux amies renoncent en chemin, elles ne renoncent jamais vraiment. Elles insistent, et par d’autres voies, par d’autres routes, par toute sorte d’approches, on les voit avancer à tâtons vers ce qu’elles imaginent comme un monde inconnu, un monde nouveau, un monde autre. Pour Netcha, l’autre, ce sont avant tout les Indiens qu’elle aimerait rencontrer tout en ayant très peur de cette rencontre. Elle craint de porter sur les épaules le poids de l’histoire, d’être une représentante du peuple de colonisateurs dont elle est issue, d’avoir lu trop de livres, de passer à côté de ce qui importe vraiment, c’est-à-dire l’altérité. Et c’est bien sûr quand elle décide d’arrêter de voyager, que le vrai voyage commence vraiment.

« Combien de fantômes murmurent encore dans ce livre ? » se demande, à la fin, la narratrice. Celui du mystérieux leader zapatiste, le sous-commandant Marcos, ceux des Indiens en lutte du Chiapas, celui d’Antonin Artaud qui en 1936 fit un voyage énigmatique au Mexique, mais aussi les fantômes d’une existence en quête d’un lieu autre, et le fantôme de la réalité, celui de nos blessures et de nos illusions. Ce nouveau livre de Neige Sinno, autobiographique lui aussi, confirme avec profondeur son immense talent d’écrivain, et offre un récit magique sur l’aspiration autant intime que collective d’un autre monde possible : « Il y a bien une question de stratégie, de choix, de recherche des armes qui nous permettraient de faire advenir un autre monde, mais les forces prennent des chemins qui ne sont pas ceux qu’on croit, plus longs, plus souterrains et moins clairs que ce que l’on souhaiterait. »

Dans son autobiographie Bucarest 187, Patricia Verdugo raconte son histoire, qui se confond avec celle du Chili durant la seconde moitié du XXe siècle. Issue d’une famille liée à la démocratie chrétienne et à l’armée, sa vie a pris un tournant radical avec le coup d’État. Dès lors, elle devient un « traître » pour certains membres de sa propre famille en raison de son travail journalistique, qui comprend des interviews d’opposants au régime, tels que Tucapel Jiménez.

À partir de juillet 1976, elle s’est donnée pour mission de demander justice pour son père et pour toutes les victimes de la dictature. En 1983, elle devient présidente du Collège des journalistes et participe à la création du collectif « Mujeres por la Vida » (Femmes pour la vie), qui dénonce les abus du régime et défend les droits des femmes au Chili. Son courage et sa ténacité restent un héritage dans l’histoire du journalisme et de la lutte pour les droits de l’homme au Chili. C’est pourquoi, dans une nouvelle édition de Mujeres Inolvidables, l’émission spéciale hebdomadaire qui met en lumière les exploits importants de femmes chiliennes de l’histoire et du présent, nous rendons visible l’impact de Patricia Verdugo, qui est aujourd’hui encore un exemple d’éthique journalistique, veillant toujours à la vérité et à la mémoire.

Malgré les menaces et les actes d’intimidation, rien n’a arrêté Patricia Verdugo dans sa quête de vérité et de justice. Son courage a fait d’elle la face visible de la lutte pour les droits de l’homme, tant au niveau national qu’international. Tout au long de sa carrière, Patricia a travaillé comme journaliste pour diverses publications, notamment Revista Ercilla et Televisa. Ses livres, tels que Una herida abierta et Los zarpazos del Puma, ont circulé clandestinement, révélant des secrets et démentant les fausses nouvelles qui circulaient depuis le pouvoir, devenant ainsi l’une des premières journalistes à enquêter sur les crimes de la dictature.

En 1993, elle a reçu le prestigieux prix Maria Moors Cabot de l’université de Columbia, puis le prix national du journalisme en 1997. Ces récompenses soulignent son dévouement à un journalisme rigoureux à une époque où le journalisme et le reportage d’investigation pouvaient lui coûter la vie. L’impact de Patricia Verdugo sur le journalisme chilien restera gravé dans les mémoires. Aujourd’hui, il convient d’apprécier et de mettre en lumière son travail et son activité professionnelle, préservant ainsi la mémoire pour laquelle elle s’est toujours battue.