La date du 25 février 2025 est à marquer d’une pierre blanche au Venezuela. Ce jour-là, opposition et autorités, Edmundo Gonzalez Urrutia, candidat malheureux des dernières présidentielles, et Nicolas Maduro, reconduit par les circonstances plus que par les bulletins de vote, ont communié à l’unisson.
Comment expliquer cet impensable, l’un et l’autre échangeant propos peu amènes et excommunications croisées ? Qui a pu mettre sur une même longueur d’ondes les deux contraires de la vie politique vénézuélienne ? La partition jouée de concert par bolivariens de bords contraires a-t-elle une chance d’être reprise en chœur ? L’évènement, que personne n’avait vu venir porte un nom, qui dit beaucoup aux vénézuéliens, José Gregorio Hernandez Cisneros. Il est de Coro à Ciudad Bolivar, « Saint patriote », et « médecin des pauvres ». Mais ce personnage unanimement honoré, peu d’étrangers le connaissent. Le nonce apostolique de la fin des années 2000, Pietro Paolin, n’en avait lui-même jamais entendu parler a-t-il dit à un journaliste du Diario Las Americas. « En vérité je ne savais pas qui c’était, je crois que jamais je n’en avais entendu parler (..). Mais à peine arrivé j’ai appris qui il était et surtout j’ai vu l’immense amour que porte le peuple vénézuélien à une figure aussi noble ».
Le 24 février 2025, en tant que patron des services diplomatiques du Saint-Siège, Secrétaire d’État, le cardinal Pietro Parolin, s’est rendu à l’hôpital policlinique Gemelli, rendre visite au pape François. Il était accompagné de Mgr. Edgar Peña Parra, d’origine vénézuélienne, substitut du Secrétaire d’État pour les affaires générales. Selon Vatican News. Les deux prélats sont sortis de l’établissement de santé un papier en main. Le pape François autorisait le « Dicastère en charge de la cause des saints » à promulguer, ce qui a été fait le jour suivant, un décret, officialisant la canonisation du « bienheureux Giuseppe Gregorio Hernandez Cisneros ». Un Consistoire ultérieur précise le document, rédigé en italien, « considèrera cette prochaine canonisation ». Giuseppe/José Gregorio Hernandez Cisneros est ainsi devenu le premier Saint du Venezuela.
Une sorte de satisfaction collective s’est spontanément exprimée. Nicolas Maduro a remercié le Pape, pour « un acte de justice envers un homme qui pendant sa vie a protégé les plus humbles »., l’Assemblée nationale, a le 27 février 2025, approuvé à l’unanimité, un projet d’accord, considérant que « la canonisation est une victoire spirituelle du peuple ». (..) « Nous lançons un appel », poursuit le texte, « afin de suivre l’exemple donné par le docteur José Gregorio Hernandez ». Même son de cloche, de la part de Corina Machado, pasionaria des opposants. « C’est une bonne nouvelle » a-t-elle déclarée, « qui ranime notre espoir pour un futur meilleur pour le Venezuela et vient nous rappeler l’énorme pouvoir de la foi ». Antienne reprise par son coreligionnaire Edmundo Gonzalez Urrutia. « Que cet évènement réarme notre confiance d’un futur meilleur pour le Venezuela », a -t-il dit. « Dans les moments difficiles il » (José Gregorio Hernandez), « nous a montré que la foi est notre force majeure ».
La canonisation est sans doute méritée. Plusieurs centaines de guérisons miraculeuses ont été attribuées au « premier saint vénézuélien ». En particulier un, en 2017, celui de Yaxury Solorzano une enfant de dix ans mortellement blessés par balle, et qui aurait survécu en dépit des pronostics médicaux, grâce aux prières adressées au bienheureux José Gregorio Hernandez par la mère de la petite fille. Cela dit, José Gregorio Hernandez est mort écrasé par une voiture, en 1919. L’Église a manifestement attendu. La Conférence épiscopale a publié une chronologie. Elle permet de mesurer le temps de cette longue instruction. 1949, dépôt de la demande de béatification par l’archevêque de Caracas. 1972, le Saint-Siège reconnaît les vertus héroïques du candidat. 1986, Jean-Paul II, le déclare « Vénérable ». 2020, Le pape François approuve le décret de béatification. Une cérémonie est organisée à Caracas le 30 avril 2021. 2025, 25 février, publication du Décret validant la canonisation de José Gregorio Hernandez.
En 2017, de Colombie, à Carthagène, le Pape avait lancé un appel à la réconciliation des Vénézuéliens. Il a depuis multiplié les gestes en ce sens. Par leur répétition ils ont pris forme d’initiative. Le cardinal Parolin, nonce à l’époque de Hugo Chávez, de 2009 à 2012, a contribué, par sa connaissance du terrain. C’est lui qui sans doute a dépoussiéré le dossier de canonisation de José Gregorio Hernandez qui dormait dans le Dicastère de la cause des saints. Déjà en 2021 sa présence aux cérémonies de béatification avait été annoncée, puis annulée au dernier moment pour raison de pandémie. Le 24 février 2024 c’est lui qui rendant visite au saint-Père, à l’hôpital Gemelli, est sorti avec la validation de la canonisation.
Un essai, en faveur de la réconciliation a été marqué. Va-t-il être transformé ? La convergence consensuelle après l’annonce de la sanctification, est-elle durable ? Il y aura sans doute une cérémonie localement une fois que le Consistoire de validation aura effectué cette ultime procédure. Sans doute comme pour la béatification, cette manifestation restera -t-elle de bout en bout gérée par la conférence épiscopale et ses médias. Ce qui ne peut que conduire à la répétition des épisodes précédents : un bouquet de commentaires parallèles élogieux pour le saint de la paix, côté cour, côté pouvoir, et côté jardin, l’opposition. Au-delà il faudra sans doute bien davantage. Le nouveau président des États-Unis, a introduit des incertitudes nouvelles, qui bloquent les compteurs des autorités comme ceux de ses antagonistes. Le nouveau saint, et ses représentants terrestres, aura beaucoup à faire pour trier le bon grain des uns, qui est ivraie pour les autres, et réciproquement.
Jean-Jacques KOURLIANDSKY