Après plus de dix ans d’absence, le réalisateur Walter Salles revient dans les salles avec Ainda estou aqui (Je suis toujours là). Après le succès de Diarios de motocicleta, qui retraçait la jeunesse du Che Guevara, Salles revient avec un film personnel sur la lutte pour la vérité et la liberté en pleine dictature brésilienne. Un film acclamé tant par la critique que par un succès populaire, au Brésil et à l’international.
Photo : DR
Rio de Janeiro, 1970. Le film s’ouvre sur la classique image du paradis brésilien : une plage de Leblon déserte, une nageuse qui flotte en prenant les premiers rayons du soleil du matin. Ce cadre idyllique est interrompu brusquement par les moteurs d’un avion. Ce ne sont malheureusement pas ceux des avions publicitaires qui traversent désormais les plages cariocas toutes les cinq minutes. Le bruit qui gronde est provoqué par un avion militaire d’un pays sous dictature. Quelques jours plus tard, Ruben Paiva, le mari de cette nageuse, sera embarqué par la police et ne reviendra plus jamais chez lui.
Ainda estou aqui plonge le spectateur dans une période de l’histoire brésilienne assez mal connue pour les spectateurs européens. Si les régimes de Pinochet ou de la junte militaire argentine ont souvent été l’objet de films ou de documentaires, la dictature brésilienne n’a pas connu le même traitement narratif. Walter Salles s’attèle à nous retranscrire cette époque par l’angle de l’intime. Il décide d’adapter à l’écran l’histoire des Paiva, une famille carioca bourgeoise, qui vécut en son cœur l’horreur des disparitions forcées de la dictature brésilienne. Ce récit touche Salles intimement puisque le réalisateur a bien connu la famille Paiva. Cette histoire vraie, d’abord raconté par le fils de la fratrie, Marcelo, dans une autobiographie, est finalement amené à l’écran de main de maître.
Face à l’horreur, comment font ceux qui restent pour survivre? C’est à cette question que le réalisateur entend répondre dans Ainda estou aqui, Je suis toujours là. Le film se concentre sur ceux qui restent et sur ce qui reste des disparus. Ce qui est toujours là malgré la disparition. C’est ainsi que l’horreur de la dictature n’est pas traité de façon frontale, mais en filigrane, sur l’effet qu’elle provoque dans le quotidien des gens qui la subissent. Le film met en lumière des scènes de grand bonheur familial, interrompues subtilement par des mini détails, des rappels constants qu’on est en train d’observer le quotidien d’une vie en dictature.
Le film connait actuellement un succès critique et populaire immense, aussi bien au Brésil qu’à l’étranger. Il reçut une standing-ovation de plus de dix minutes lors de sa présentation à la Mostra de Venise et représentera le Brésil aux Oscars 2025. L’actrice principale, Fernanda Torres, a été récompensé du Golden Globe de la meilleure actrice il y a quelques semaines. En effet, le film a la chance d’être porté par cette actrice exceptionnelle qui incarne cette femme forcée à changer de destin et à devenir activiste politique malgré elle. Confrontée à une horreur inexplicable, le personnage interprété par Torres essaie de maintenir la face, de réunir la famille, s’infligeant un autocontrôle qui empêche le film de tomber dans le pathos. Après la disparition de son mari, Eunice Paiva devint une grande avocate brésilienne qui se battra pour que justice soit faite pour les familles victimes de la dictature. Vingt-cinq ans après la disparition de son mari, elle obtiendra finalement son acte de décès auprès des autorités brésiliennes. Elle mourut en 2018 sans jamais voir personne condamné pour le meurtre de Ruben Paiva.
Ainda estou aqui fut très bien reçu par le public brésilien, avec déjà plus de cinq millions de spectateurs. Malgré des menaces de boycott de l’extrême-droite du pays, le succès immense du film de Salles montre un consensus plutôt rassurant de la société brésilienne sur l’importance d’aborder encore ce type de sujet au cinéma. Au-delà de la force de l’histoire des Paiva et de l’interprétation magistrale de Fernanda Torres, Ainda estou aqui est un vrai objet de cinéma. La recréation de l’ambiance du Rio des années soixante-dix est magistrale : ses musiques (avec une BO alternant Tom Zé, Gal Costa et Caetano Veloso), ses décors, sa lumière captée sur pellicule 35 mm pour lui redonner un grain d’album photo. Un scénario centré sur une maison lumineuse où les rideaux se ferment, le silence se fait et les sourires se figent dès que la disparition a lieu. Selon les propres propos de Salles, « la dictature gagne quand elle a commencé à ravir la parole de celles et ceux qui la subissent ».
Peu de propositions du cinéma brésilien arrivent jusqu’aux salles européennes. Ainda estou aqui déroge formidablement à la règle avec un film vibrant, un récit inspirant et un propos tristement encore trop d’actualité. Le cinéaste mexicain Alfonso Cuarón considère Ainda estou aqui comme son film préféré de 2024 et le décrit ainsi : « Voir un film de Walter Salles, c’est être étreint par la générosité, c’est faire l’expérience d’une force gravitationnelle qui vous soulève et vous ancre comme une force invisible mais indéniable».
Romain DROOG
(Depuis le Brésil)
Ainda estou aqui, drame de Walter Salles (Brésil 2024), 2h15′, avec Fernanda Torres
Toujours en salle : Allociné