Yessenia Mollinedo et Sheila García ont été tuées par balle à Cosoleacaque dans l’État de Veracruz (est) ce lundi 23 décembre. Elles rejoignent leurs nombreux camarades assassinés pour avoir exercé leur profession et révèlent encore une fois la crise journalistique dans laquelle se trouve le Mexique.
Photo : Reporters sans frontières
Ce lundi 23 décembre, la veille du réveillon, deux journalistes ont été assassinées à Cosoleacaque dans l’État de Veracruz au Mexique. Yessenia Mollinedo était directrice du portail d’informations El Veraz et Sheila García était cameraman. Elles ont été tuées par balles par un homme à moto alors qu’elles se rendaient à une réunion commémorative en l’honneur d’un de leur camarade journaliste récemment assassiné. La procureure Verónica Hernández et le responsable de la communication de la présidence Jesús Ramírez ont affirmés leur engagement dans l’élucidation de ce double meurtre et ont affirmé qu’il ne restera pas impunis.
Ce double homicide intervient cependant quatre jours après celui de Luis Enrique Ramírez, éditorialiste du journal El debate dans l’État du Sinaloa, et alimente une longue liste de journalistes assassinés depuis le début de l’année. En effet, depuis janvier 2024 on compte onze informateurs tués dans le pays selon plusieurs ONG. Le Mexique domine ainsi tristement le classement des pays les plus dangereux pour les journalistes. Ceux-ci sont surtout les cibles des groupes narco terroristes qui travaillent avec les autorités locales corrompues. Amnesty International rappelle par ailleurs que près de la moitié des attaques enregistrées contre les journalistes étaient du fait des fonctionnaires de l’État. C’est ainsi en documentant les meurtres, les violations de règles environnementales et civiles liés à ces trafics que ces hommes et femmes deviennent gênants. Ils sont alors progressivement menacés, directement ou à travers leur famille, puis, s’ils continuent, ils sont assassinés. La profession est ainsi devenue un vrai engagement dans certaines régions difficiles du pays.
En vue du nombre croissant de journalistes tués, le gouvernement a mis en place en 2012 un mécanisme de protection fédérale pour les journalistes qui le demandaient. Souvent, il s’agit d’une protection par des gardes du corps mais en fonction de la situation il peut leur être demandé de déménager voire de changer de sujet ou de profession. Or, le nombre de demandes explosent alors que de plus en plus d’entre elles se voient refusées. On compte 651 journalistes inscrits en 2023 pour 49 refus alors qu’on ne comptait qu’une réponse négative en 2020, puis 14 en 2021, et 49 en 2022. Le problème majeur qu’ils reprochent au Mécanisme est sa lenteur bureaucratique et un manque d’empathie. De nombreuses femmes ont de plus été victimes de la discrimination de genre en voyant minimisés les risques auxquels elles étaient exposées. La dernière option pour les journalistes qui refusent de quitter leur profession reste l’exil, souvent aux États-Unis, afin d’éviter le pire.
De plus, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador (AMLO) se montre très critique envers la presse. Tous les mercredis dans son émission “¿Quién es quién en las mentiras?” (« Qui est qui dans le mensonge ? »), le président accuse tour à tour les journalistes de mal faire leur travail en faisant mention d’un manque de professionnalisme et en qualifiant leur travail de “partial”, “d’injuste” et de “ déchet du journalisme” selon un rapport de Reporters Sans Frontières.
Lors de cette émission télévisée « Il a par exemple rendu public le numéro de téléphone de la correspondante du New York Times parce que son travail ne lui avait pas plu. Et à chaque fois, il se justifie en disant que c’est son droit de réponse », dénonce la journaliste Marcela Turati au micro de Melissa Barra, de la rédaction en langue espagnole de RFI. AMLO se plaignait en effet d’une enquête sur les possibles liens entre des membres de son entourage et des cartels de la drogue. Ces opérations de déstabilisation de la presse mexicaine par le gouvernement mêlés aux failles du mécanisme de protection laisse les journalistes dans une situation précaire. Les menaces qui pèsent sur eux et la discréditation présidentielle font par ailleurs craindre pour la démocratie mexicaine. La situation dans laquelle se trouvent les journalistes dans ce pays n’est toutefois pas nouvelle et n’a de cesse d’empirer.
Pour aller plus loin, l’équipe Nouveau Espaces Latinos vous recommande le documentaire Estado de Silencio, écrit et réalisé par Santiago Maza Stern, 2024, 80 minutes.
Lucas LEMOINE
D’après dépêches