Ayacucho, deux cents plus tard : où est rendue l’Amérique latine?

Une armée multinationale, forte de près de 6 000 hommes, est mise sur pied grâce aux efforts du Vénézuélien Simón Bolívar et de l’Argentin José de San Martín. Elle est composée des forces venues de tous les nouveaux pays, en particulier de la Grande-Colombie, avec 4 000 hommes, et compte sur cinq cents militaires européens.  Sous les ordres du jeune général vénézuélien Antonio José de Sucre, l’armée patriote remporte la bataille, après plusieurs heures de combat. 

L’indépendance de l’Amérique espagnole est maintenant assurée. L’Espagne garde encore quelques domaines dans la Caraïbe, qui deviendront indépendants plus tard, mais elle n’est plus en mesure de restaurer son empire, d’autant plus que la Grande-Bretagne et les États-Unis ont reconnu officiellement les nouveaux pays. Les Hispano-américains se sont battus ensemble pour devenir indépendants, ils ont une langue et une religion commune, pourquoi ne pas marcher unis vers l’avenir ? C’est ce que Bolívar prône en organisant le congrès de Panamá, en 1827. Mais cette idée ne fait pas l’unanimité. Le Chili et l’Argentine n’envoient même pas des délégués à Panama. Le Brésil n’a pas été invité, tout comme Haïti.

Tout au long du 19e siècle, les anciennes colonies entretinrent des relations houleuses et même hostiles. Le Chili fit deux fois la guerre au Pérou et à la Bolivie, le Paraguay fut dépecé par l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay. La guerre marque les relations entre les pays de l’Amérique centrale. Cet état de choses change au XXe siècle, alors que le seul conflit armé d’envergure fut celui qui opposa la Bolivie au Paraguay, entre 1932 et 1935. Les pays latino-américains suivent le leadership des États-Unis et deviennent membres de l’OÉA, l’Organisation des états américains, créée en 1948 (et à laquelle le Canada adhère seulement en 1989).

Le maître mot est maintenant celui de l’intégration. Suivant l’exemple de l’Europe de l’Ouest, à partir de 1960, les pays latino-américains signent plusieurs traités commerciaux : Marché commun de l’Amérique centrale, Pacte andin, Mercosur, Alliance du Pacifique… Parallèlement surgissent des instances visant à une intégration plus large, comme  l’ALBA, (Alliance bolivarienne des Amériques)  à l’initiative du Venezuela de Hugo Chávez et de Cuba, suivi d’Unasur (Union des pays de l’Amérique du Sud), qui cherchait à construire une identité et une citoyenneté  sud-américaine, et CELAC  (Communauté des états latino-américains et des Caraïbes), qui se voulait une alternative à l’OÉA.

Le bilan de ces tentatives d’union n’est pas reluisant. Le commerce a certes été stimulé, mais avec beaucoup de hauts et des bas. Les principaux partenaires commerciaux sont toujours les puissances mondiales, que ce soient les États-Unis, l’Union européenne et plus récemment, la Chine. Le Mexique, depuis la signature du traité de libre-échange nord-américain, oriente son commerce extérieur à plus de 80 % vers les États-Unis. L’UNASUR se désintègre : aujourd’hui, seulement cinq des dix pays fondateurs restent membres de l’organisation. L’intégration institutionnelle est faible : pas de Parlement latino-américain, pas de passeport ou de monnaie commune. Tout un contraste avec la réussite de l’Union européenne, qui s’explique par plusieurs facteurs : les grandes distances qui séparent les divers pays, les déséquilibres démographiques et économiques et les différences idéologiques entre les divers gouvernements. 

Ce dernier facteur est visible lorsqu’on regarde la participation de l’Amérique latine dans les instances mondiales et sa relation avec les États-Unis. Ainsi, le Mexique, le Pérou et le Chili sont membres d’un forum d’inspiration néolibéral, l’APEC (Coopération économique Asie-Pacifique), à côté des États-Unis, le Canada, la Chine, le Japon et l’Australie. Pendant ce temps, le Brésil fait cavalier seul dans le BRICS, groupe de pays dans lequel figurent la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud et l’Égypte, qui aspirent à contester l’hégémonie des pays occidentaux, à réformer le Conseil de sécurité des Nations-Unies ainsi que le système monétaire international. Certes, les pays latino-américains ont voté à l’unanimité en faveur de mettre un terme au blocus exercé par Washington contre Cuba. En revanche, certains pays de l’Amérique centrale ont participé à la guerre lancée par les États-Unis contre l’Irak en 2003 et permettent encore l’existence de bases militaires américaines. Ainsi, deux cents ans après Ayacucho, le rêve bolivarien d’unité est encore loin de se matérialiser.