Venezuela : il faut offrir une porte de sortie au dictateur Maduro. La chronique de Laurent Tranier publié dans « L’Opinion internationale »

Fidèle à la logique des régimes dictatoriaux, qui consiste à se maintenir obstinément au pouvoir – ici au mépris de la volonté répétée lors de l’élection présidentielle du 28 juillet 2024, qui a vu, selon les seuls chiffres fiables disponibles, issus des procès-verbaux collectés par l’opposition dans les bureaux de vote, une large victoire de l’opposant Edmundo González Urrutia avec deux tiers des voix – Nicolás Maduro et ses proches refusent de quitter le pouvoir au Venezuela. Contre l’évidence des preuves, ils prétendent avoir remporté l’élection, et répriment sans pitié tous ceux qui affirment le contraire. C’est le 10 janvier 2025 que doit avoir lieu la passation de pouvoir. Depuis l’élection, le madurisme réaffirme sa victoire et verrouille sa position : répression des manifestations (28 morts, plus de 200 blessés et plus de 2400 arrestations), emprisonnement des opposants, exil forcé d’Edmundo González Urrutia (après lui avoir fait signer une reconnaissance de sa défaite, une mascarade qui ne trompe personne et qui en dit encore et toujours un peu plus long sur les méthodes du madurisme), procédure lancée contre María Corina Machado, la leader de l’opposition, déjà empêchée de se présenter à l’élection par une décision du système judiciaire aux ordres du pouvoir : elle est aujourd’hui contrainte de se cacher mais refuse de quitter le pays. Les proches de Maduro et les services de sécurité contrôlent tout : aucune voix opposante ni même dissidente, aucune position publique divergente n’est tolérée en-dehors de la novlangue officielle sur le triomphe électoral et les succès de la révolution socialiste maduriste.

Les États-Unis ont reconnu la victoire d’Edmundo González Urrutia et accroissent les sanctions pesant contre le régime vénézuélien et ses principaux dirigeants : 180 membres de l’entourage de Nicolás Maduro sont visés nommément, tandis que lui-même est toujours recherché par la Justice américaine qui a mis sa tête à prix à 15 millions de dollars, pour narcotrafic. Si les principales dictatures de la planète, les CRIC (Chine, Russie, Iran, Corée du Nord), et de la région (Cuba et le Nicaragua), ont félicité Nicolás Maduro pour sa « belle victoire », celui-ci a perdu un allié, en tout cas un voisin longtemps complaisant, depuis que Lula, le président brésilien, s’est lassé de la mascarade vénézuélienne qui menace la stabilité de tout le continent en raison de l’émigration massive et de ses liens avec les guérillas colombiennes et le narcotrafic régional.

Même Gabriel Boric, le président chilien issu d’une nouvelle génération de dirigeants qui place le respect de la démocratie au-dessus d’un vague cousinage idéologique, a condamné sans ambiguïté la fraude électorale vénézuélienne et refuse de reconnaître la victoire de Nicolás Maduro. Alors que l’embarras du voisin colombien est palpable, le Mexique, toujours prudent et respectueux de la souveraineté des États, s’est abstenu de toutes félicitations officielles, se contentant de proposer ses bons offices dans la recherche d’une solution négociée. Jusqu’ici, en vain. Mais après ? Le 10 janvier, Donald Trump, qui s’était violemment opposé au Venezuela durant son premier mandat et qui s’apprête à nommer Secrétaire d’État le sénateur de Floride Marco Rubio, un opposant radical aux dictatures latino-américaines, sera à quelques jours d’entrer en fonction à la Maison Blanche. La politique des États-Unis vis-à-vis du Venezuela n’a dans un premier temps que très peu évolué sous la présidence de Joe Biden, entre condamnation des violations des droits de l’Homme et imposition de sanctions en définitive inefficaces à ébranler le pouvoir, et qui ont fini par être assouplies pour encourager – en vain là aussi – la tenue d’élections loyales en juillet 2024.

La solution peut-elle venir de la rue ? À moins d’envoyer la population au massacre, issue devant laquelle Maduro et ses milices n’ont jamais reculé dès lors qu’ils sentaient leur pouvoir menacé, il y a peu à espérer de ce côté. De l’opposition institutionnelle ? Encore faudrait-il qu’existe un jeu politique institutionnel qui soit autre chose qu’une chasse à l’homme d’opposition par le policier ou le juge du pouvoir. Aujourd’hui, se déclarer opposant au Venezuela – comme chez ses alliés, Cuba et le Nicaragua – c’est prendre un billet pour la prison ou l’exil. En réalité, les pistes sur lesquelles fonder un espoir de transition vers la démocratie au Venezuela sont associées tout d’abord à un travail de sape interne au régime maduriste, au sein de certains secteurs des services de sécurité, les piliers du régime, mais dont la base ne bénéficie pas des retombées de la corruption du sommet et qui partage les conditions de vie terribles de la population. Cette frustration politique s’est exprimée lors de l’élection, dont les procès-verbaux ont révélé que certains bureaux de vote installés dans des casernes avaient placé Edmundo González Urrutia devant Nicolás Maduro ! Il y a ainsi un travail en cours, interne au régime, qu’il faut prolonger pour créer à la fois une dissidence et une alternative, serait-ce auprès de disciples d’Hugo Chávez, le prédécesseur et mentor revendiqué de Maduro, qui considèrent que l’héritage en est trahi par le régime actuel.

Mais rien de tout cela ne sera possible sans une solution venue de l’extérieur, qui ne peut pas être une solution de force : il n’est pas question d’envahir le Venezuela pour le libérer militairement de sa dictature – l’initiative, évoquée à la suite de la précédente élection frauduleuse de Nicolás Maduro en 2018, ne recevrait aucun soutien – mais bien de trouver une échappatoire aux dignitaires du régime en leur assurant une fin de vie paisible. C’est ici que les États-Unis, les grands pays latino-américains ou les pays d’Europe qui se sont impliqués dans des démarches diplomatiques avec le régime de Caracas, parmi eux la France et la Norvège, peuvent contribuer, en offrant de pressantes garanties, à une sortie pacifique et pragmatique de l’impasse. Aussi injuste que cela serait à l’égard de tels dirigeants criminels, une transition négociée aurait le mérite de redonner au peuple vénézuélien le choix démocratique de son destin et l’espoir d’un retour à une vie libre et enfin prospère, dans un pays qui possède toujours les premières réserves d’hydrocarbures au monde, entre autres richesses naturelles et humaines.