Nicolás Maduro nomme Alex Saab, soupçonné d’être son prête-nom, ministre de l’Industrie et de la Production nationale

Alors que l’avocat et politologue Carlos Sánchez Berzaín dénonce les « effets dévastateurs » des dictatures en Amérique latine, l’héritier d’Hugo Chávez renforce son cercle rouge. L’entrepreneur colombien d’origine libanaise Alex Saab, « connaissant tous les rouages financiers occultes de Caracas », est devenu en peu de temps milliardaire sous les ailes de la révolution bolivarienne.

Photo : DR

Arrêté en juin 2020 au Cap-Vert (Afrique) alors qu’il se rendait à Caracas depuis Téhéran,  libéré en décembre 2023 par les États-Unis dans le cadre d’un échange de prisonniers, Alex Saab vient d’être nommé ministre de l’Industrie et de la Production nationale. L’entrepreneur colombien, qui a également la nationalité vénézuélienne et possédait depuis longtemps un passeport diplomatique, est devenu « un important intermédiaire du pouvoir vénézuélien » à partir de l’ascension d’Hugo Chávez. C’est Nicolás Maduro lui-même qui l’a annoncé sur Instagram : « J’ai nommé Alex Saab comme nouveau ministre du pouvoir populaire […], je suis certain qu’avec sa grande capacité de gestion et son engagement envers notre peuple, il favorisera le développement de tout le système industriel du Venezuela dans le cadre du processus de construction du nouveau modèle économique », a-t-il déclaré avant de l’encourager avec « tout [son] soutien pour l’immense tâche qu’il doit accomplir ».

D’origine libanaise, en 2018 Alex Saab fut nommé par le gouvernement vénézuélien délégué spécial en Iran, « chargé de missions officielles ». Accusé aux États-Unis pour blanchiment d’argent, son nom apparaît à maintes reprises dans des sombres affaires touchant plusieurs entreprises. C’est le cas du Group Grand Limited (GGL), fournisseur officiel de céréales, légumes ou autres denrées alimentaires que l’administration Maduro n’hésitait pas à surpayer par rapport au prix réel du marché. D’une qualité de troisième degré, la nourriture était distribuée par les organisations de l’État comme les Comités Locales de Abastecimiento y Producción. Selon le collectif Iniciativa Futura de Venezuela, Saab achetait de la nourriture de mauvaise qualité au Mexique, à la Colombie et à la Turquie pour la revendre à des prix gonflés au gouvernement du Venezuela.(1)

Pendant des années, l’entrepreneur a toujours su garder un profil bas, tissant patiemment son réseau d’influence dans une quinzaine de pays  (la Colombie, le Venezuela, les États-Unis, etc.). Cependant, en 2017, à la suite d’une enquête menée quelques mois auparavant par le média indépendant Armando.ifo, la procureure générale du parquet vénézuélien, Luisa Ortega, l’accuse d’être le prête-nom du régime chaviste. Selon le parquet, la participation de Saab au blanchiment d’argent, par le biais d’une association illicite, lui aurait permis d’amasser une fortune colossale. En facturant des exportations fictives d’aliments vers le Venezuela, grâce à la création de compagnies « fantômes » destinées à masquer le trafic de pétrole et d’or, ce véritable « touche-à-tout » a pu ainsi établir des liens durables et signer des contrats avec les entreprises de l’État. Cela s’est passé à l’époque de la naissante dictature d’Hugo Chávez (décennie 2010), puis sous l’aile de son dauphin consacré.

Par exemple, en 2015, l’entreprise nationale de pétrole PDVSA (rongée depuis des décennies par une corruption de connaissance publique) lui a versé une somme estimée en 4 500 millions de dollars. Une fois bien placé dans l’entourage de Nicolás Maduro, y compris son cercle familial, Saab révèle son talent inné dans différents domaines : l’importation de denrées, l’industrie du bâtiment publique, l’exploitation du charbon et du transport lourd, mais surtout le lucratif bizness de l’échange du pétrole par de l’essence provenant d’Iran.  C’est à ce moment, porté au pinacle de sa « carrière », qu’il fut finalement arrêté dans l’archipel africain, en juin 2020

Gerardo Reyes a écrit Alex Saad, la verdad sobre el empresario que se hizo multimillonario a la sombra de Nicolás Maduro (Editorial Planeta Colombiana, 2021, non traduit en français). Dans cette biographie, la plus complète de l’entrepreneur colombien, ce journaliste d’investigation révèle que la fortune du fonctionnaire clé du gouvernement vénézuélien atteint des chiffres astronomiques, confirmés par Washington : entre 1 000 et 1 500 millions de dollars. En parallèle, un récent rapport de Transparency International signale que, au moment de son extradition vers les États-Unis, Saab possédait un empire commercial de quatre-vingt-neuf entreprises implantées dans quinze pays. Parmi ces obscures entreprises, mentionnons un exemple significatif du plan expansionniste de l’Iran en Amérique latine. En pleine pandémie du coronavirus, une première enseigne de la chaîne Etka fut inaugurée en août 2020, à Caracas. Supermarché hallal dans un quartier périphérique où, une décennie auparavant, Hugo Chávez avait exproprié la firme française groupe Casino : le terrain avait été adjugé à l’entrepreneur Alex Saab. Sur les rayons du supermarché, parmi les plus de 3 000 produits iraniens proposés, tous avec des étiquettes en persan et en anglais, des cahiers illustrés de filles en hyyab.

C’est à l’occasion de l’ouverture de ce supermarché que le sous-secrétaire d’État des États-Unis Michael Kozak s’est exprimé au sujet du terrorisme islamique en Amérique latine. La firme Etka possède 700 supermarchés en Iran, est administré par le Ministère de la Défense et a des relations avec la Garde Révolutionnaire Hezbollah (« Parti de Dieu » en arabe), l’armée idéologique de la République islamique désignée comme groupe terroriste par une majorité de représentants de la communauté internationale libre et démocratique. Arborant à l’entrée les drapeaux iranien et vénézuélien, le jour de l’inauguration du supermarché était présente, à côté de Nicolás Maduro, l’entrepreneur Izza Rezaie, vice-ministre de l’Industrie de l’Iran.

La République, une utopie

À travers le temps et l’espace, Saint-Georges de Bouhelier (1876-1947) semble se référer à la réalité vénézuelienne : « L’intérêt mène tout. Les hommes ne s’associent que dans la peur ou dans l’ambition. La République est un rêve ! (2) ». Ainsi, les intérêts personnels de ses dirigeants, l’ambition de ses thuriféraires, ont converti la République vénézuélienne en une lointaine utopie et la dictature bolivarienne en un concret et persistant cauchemar. Selon le propos du dramaturge français, en s’associant à un obscur entrepreneur soupçonné de blanchissement d’argent et considéré comme le prête-nom de Nicolás Maduro, le régime aurait-il peur des conséquences délétères imprévues pour avoir mené le pays au pire désastre institutionnel, social et économique de son histoire ?

À présent, au milieu du tourbillon des événements funestes qui frappent de plein fouet le peuple vénézuélien, notamment depuis la réélection frauduleuse de Maduro et ses sbires, l’avocat bolivien Carlos Sánchez Berzaín vient de publier un article lumineux sur les « «effets dévastateurs » des dictatures latino-américaines. L’ancien ministre du gouvernement de son pays pendant les deux mandats de Gonzalo Sánchez de Lozada (1993-1997 / 2002-2003), montre comment les premiers succès des régimes dictatoriaux (Cuba, Venezuela, Nicaragua) et certaines démocraties défaillantes, comme celles de la Bolivie d’Evo Morales et l’Équateur de Rafael Correa, doivent leurs premiers succès aux « ressources laissées par les gouvernements démocratiques précédents, l’endettement irresponsable et le gaspillage des ressources ».

C’est ce qu’on pourrait appeler « populisme écervelé », responsable d’une liste de pays dévastés par le vertige du pouvoir lié à l’enrichissement illicite (dont l’Argentine occupe une place privilégiée grâce à feu Nestor Kirchner et sa femme condamnée par corruption, Cristina Fernández, ainsi que leur méprisable « marionnette » Alberto Fernández, 2019-2023, accusé de plusieurs délits). Ce grand malheur qui fragilise la région a été décrit par Sánchez Lozada avec précision et clarté instructive: « L’expansion de la dictature cubaine au Venezuela, en Bolivie, au Nicaragua, et pendant plus de dix ans en Équateur, a arraché la démocratie à ces peuples, avec des effets dévastateurs sur les droits humains, la liberté, la destruction du système productif, la perte de souveraineté, la détérioration des conditions de vie, l’augmentation de la pauvreté et des inégalités, l’augmentation de l’insécurité, la prévalence de la criminalité et de la corruption, et la destruction des conditions de subsistance minimales. » Plus loin, Lozada fait une radiographie où transparaît la maladie chronique : « Les dictatures du socialisme du XXIe siècle prennent le pouvoir pour le tenir indéfiniment, avec le terrorisme d’État et par la commission de tous les crimes possibles pour maintenir l’impunité. (3) »

Eduardo UGOLINI

(Au moment même de boucler la rédaction de cet article on annonce que Raúl Gorrín, un homme de paille de Nicolás Maduro et président du réseau d’information Globovisión, a été inculpé aux États-Unis pour une affaire de blanchiment de 1 200 millions de dollars au cœur de la société d’État Petróleos de Venezuela. Gorrín est actuellement en fuite).

______________

  1. À propos de la qualité de la nourriture distribuée par l’État, lire le Rapport sur les pénuries de la vie quotidienne sous le régime Maduro, publié dans la revue Nouveaux Espaces Latinos n° 316, septembre-décembre 2023.
  2. Le sang de Danton, acte I, 5e tableau, sc. VI.
  3. Pour aller plus loin: Devastadores efectos para los pueblos por la perdida de democracia, Carlos Sánchez Berzaín, Infobae, 20 octobre 2024.