« Une vie pleine de sens », le nouveau roman de Pablo Casacuberta aux éditions Métailié

Nous revenons encore sur Une vie pleine de sens, de l’écrivain uruguayen Pablo Casacuberta publie son neuvième roman, son quatrième traduit en français. Entre science et poésie, l’écrivain nous décrit le parcours accidenté de David Badenbauer, personnage principal et narrateur quelque peu excentrique. Plus que ses recherches scientifiques ou ses facultés supposées d’écrivain, c’est le récit de sa propre vie qui pourrait révolutionner tous les modèles du parfait manuel de développement personnel.

Photo : Paralillo

David Baudenbauer, neurophysiologiste qui travaille depuis plus de vingt ans sur le fonctionnement des neurones et de la synapse, est un sceptique invétéré. Issu d’une famille juive mais non pratiquant, il se refuse de croire en Dieu, ne s’empêchant pas néanmoins de s’interroger sur les secrets de la conscience humaine. Père d’un jeune adolescent prénommé Aaron, marié à Deborah dont le désamour se manifeste de plus en plus souvent, soumis à la volonté d’un beau-père obsédé par le Talmud et professant narcissiquement la psychanalyse, sa vie lui apparaît comme un échec complet. Quoi de plus terrible que ce qui lui arrive : sa carrière s’effondre, son mariage implose : il perd tout, jusqu’au respect apparent de son fils. Sans certitudes et ruiné par un divorce dont l’issue était connue d’avance, c’est la vie et ses épreuves, qu’il s’empressait naguère de fuir, qu’il va désormais devoir affronter. Le sort met alors sur sa route un éditeur versatile et intéressé et un rabbin bienveillant. C’est dans ce contexte qu’on lui imposera l’écriture, en tant que ghost-writer, de l’œuvre majeure et posthume d’une des maîtresses du livre de développement personnel décédée quelques mois auparavant : une certaine Iris Kaplan. Le titre du livre est déjà arrêté : Une vie pleine de sens.

Malgré son titre, Une vie pleine de sens n’a rien du livre de développement personnel où l’on peut trouver des conseils pour améliorer son quotidien ou redonner un sens au cours de sa vie. Quoique… Au fur et à mesure de la narration, en se confrontant aux questions existentielles et les obstacles du quotidien et en assumant sa tâche nouvelle d’écrivain, l’égarement de David Badenbauer s’entiche d’une quête, d’un but. Lui, qui se croyait sceptiquement brassé par un flux d’événements aléatoires dans un univers aveugle, s’autorise alors à porter un regard auto-contemplatif sur sa vie. Dans le cadre narratif, les éléments de pseudo-vulgarisation scientifique se heurtent aux éléments biographiques : le narrateur mène une sorte d’introspection thérapeutique qui, au gré de son exploration personnelle, l’entraîne dans les profondeurs passées de ses racines reniées et sur les étendues de sa vie mentale.

Sur les chemins de l’humain, hors de tout postulat trop radicalement religieux ou mystique, le lecteur se laisse aiguiller par les intentions, les réflexions et les questionnements du narrateur : nos aspirations ne sont-elles qu’illusions ? Quel sens donner à la continuité biologique des êtres ? Sommes-nous, chimie concrète prisonnière d’un cadre évolutif, en plein centre d’une chaîne causale inexpliquée ? Au milieu d’un univers tout aussi parfait qu’énigmatique ? Sans renier totalement les legs religieux ou culturels, Une vie pleine de sens évoque la possibilité d’une compréhension et d’une perception différente du monde, sa redécouverte au-delà de nos préjugés.

Roman au croisement de la science et de la littérature, Une vie pleine de sens se penche tout autant sur les relations qu’un neurone entretient avec le milieu ambiant à travers les canaux ioniques, la communication entre les organismes et leurs dépendances affectives, la possible ou impossible interprétation de la réalité que sur le véritable fonctionnement de l’être. Chez Pablo Casacuberta, la science, étude de l’origine matérielle des choses, analyse biologique de la cellule en tant que fragment du monde, s’évertue à travers l’outil du langage à expliquer ou à illustrer l’insaisissable construction de la perception mentale d’un individu et de sa conséquente identité.

La littérature et le roman sont là pour nous proposer de réélaborer notre dynamique perceptive. Les notions de communauté, d’individualité et de libre-arbitre, si chères à nos sociétés modernes, sont ainsi mises à mal et les mots n’ont alors d’autre but que de donner vie à une inquiétude métaphysique, qui nous dirige vers les portes et les champs inconnus du royaume de l’esprit. En interrogeant l’entropie de la matière, la causalité et le néant, en remettant en question la portée et notre capacité décisionnelle, ce sont aussi les questions de la possibilité, de l’impossibilité et de la nécessité de la connaissance, qui deviennent les thèmes centraux du roman de Pablo Casacuberta. Avec Une vie pleine de sens, l’écrivain uruguayen affirme que la littérature existe non seulement pour décrire ce que nous ne comprenons pas, mais aussi ce que nous ne savons pas : elle pose, différemment de la philosophie, avec une bonne dose d’humour et une pointe de dérision, les limites du savoir potentiellement atteignable et des capacités de l’entendement humain.

Pablo Casacuberta est né en 1969, à Montevideo, en Uruguay. Artiste au sens large du terme, il est à la fois artiste visuel, musicien cinéaste, essayiste et romancier. Ses œuvres ont été exposées à Venise ou à New York ; il a co-dirigé le long-métrage Another George, au côté de Yikihiko Goto en 1998.  En tant que romancier, il a été couronné par trois fois (1996, 2019 et 2022) du Prix national de littérature en Uruguay et est apparu en 2007 dans la liste Bogotá 39, une sélection des jeunes écrivains latino-américains les plus prometteurs. Auteur désormais reconnu, il a publié neuf romans, parmi lesquels La máquina roja (1995), Escipión (2009), La mediana edad (2019). Une vie pleine de sens (Una vida llena de propósitos, 2021) est son roman le plus récent. Une vie pleine de sens est le neuvième roman de Pablo Casacuberta et a remporté le Prix national de littérature en Uruguay en 2022. Paru le 30 août dernier en librairie, le roman est disponible aux éditions Métailié.