Contre-point en Argentine : les Mères de la Place de Mai saluent la victoire de Nicolás Maduro

Le dictateur vénézuélien, cerné par des accusations de fraude électorale, peut sans surprise compter avec le soutien de ses alliés antidémocratiques. La Chine, la Russie, l’Iran, mais aussi celles qui incarnaient la lutte contre les violations des droits humains. Paradoxes d’un militantisme privé de sens commun mais « aidé » par les pétro-dollars.

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Depuis le 30 avril 1977, les mères argentines de l’Asociación Madres de Plaza de Mayo se retrouvent dans la place du même nom en souvenir de ces enfants disparus pendant la dictature militaire (1976-1983). « La dictature nous appelait « les folles de la Place de Mai » » rappelait en 2016 Estela de Carlotto. Actuelle présidente de l’organisation, dont la raison d’être est la défense des principes démocratiques, Carlotto a appelé, en mars dernier, à un coup d’État contre l’actuel gouvernement de Javier Milei : « faisons quelque chose pour que cela change ou pour qu’il disparaisse rapidement. »  Aujourd’hui, dans le climat explosif qui a marqué les derniers jours de l’élection présidentielle vénézuélienne, le sobriquet « Folles de la Place de Mai »  reflète un sentiment partagé par une grande majorité d’Argentins et plus de 500 000 Vénézuéliens exilés en Argentine. « Honte aux mères ! » C’est le mot d’ordre d’une population qui ne comprend toujours pas le paradoxe de cette Organisation pour la défense des droits humains censée militer pour la liberté de pensée (Prix Sakharov 1992). Ainsi, la veille de l’élection présidentielle vénézuélienne de dimanche 28 juillet, la très politisée organisation de gauche kirchnériste a envoyé une lettre à Nicolas Maduro qui a généré une forte indignation parmi les têtes bien-pensantes. 

« Depuis Buenos Aires, nous souhaitons adresser au peuple et au gouvernement bolivarien du Venezuela nos plus chaleureuses salutations révolutionnaires à la veille des élections présidentielles. » C’est en substance le message adressé à Maduro, avant de conclure : «  Nous sommes convaincus que la révolution bolivarienne l’emportera une fois de plus dans les élections, comme elle l’a fait dans les consciences et dans les cœurs des celles et ceux qui nous aimons tant et que notre éternel président Hebe de Bonafini a visité tant de fois », peut-on lire dans le compte officiel de l’organisation @PrensaMadres. Pendant ce temps, un rapport publié par le cabinet de conseil Methodo annonçait que 67 % des Vénézuéliens considèrent le régime de Maduro illégitime, 51 % estiment que la démocratie a été brisée en 2015, et 71,5 % souhaitent un changement dans la représentation politique. 

Selon l’écrivain antimafia italien Roberto Saviano, ce « narco-État déguisé en révolution » (des analystes politiques de renom, comme Jaime Durán Barba et Andrés Malamud, sont du même avis ; par ailleurs, les États-unis ont annoncé, en mars 2020, que Maduro et ses proches étaient inculpés pour « narcoterrorisme »),  est l’allié d’un autre pays que l’Argentine vient de déclarer « État terroriste » pour les attentats à la bombe commis à Buenos Aires en 1993 et 1995 : l’Iran. C’est une raison de plus qui interroge sérieusement au sujet de la complicité entre les Mères accompagnées de leur célèbre foulard blanc, emblème de la lutte pour les droits humains, et le régime chaviste. C’est pourquoi, aux yeux de beaucoup de citoyens lambda qui n’ont pas cédé les rênes de la raison aux idéologies totalitaires, dont l’évidence empirique montre l’efficacité de leurs effets nuisibles sur les populations, la réputation des Madres de la Plaza de Mayo est devenue crépusculaire au fil du temps. Cela à cause de leur engagement auprès de ladite « révolution bolivarienne », contraire à la recherche de la justice sociale, incarnée par Hugo Chávez et Nicolás Maduro. 

Pour comprendre cette prise de position pour le moins regrettable, il faut se pencher sur le soutien des Mères aux gouvernements de Nestor et de Cristina Kirchner (2003-2015) puis à celui de leur médiocre dauphin Alberto Fernández (2019-2023). Partenaires du chavisme, les « K » ont bénéficié à plusieurs reprises de l’envoi de valises remplies de pétrodollars vénézueliens pour un montant estimé en vingt millions de dollars. Le soutien des Mères s’est avéré très profitable en termes de grosses subventions à l’organisation, une façon pour le pouvoir K de s’assurer, élection après élection, un nombre considérable de voix dans les urnes et surtout l’absence d’un regard critique sur le gouvernement le plus corrompu depuis le retour de la démocratie en 1983.  Lors du décès de la leader historique et très controversée Hebe de Bonafini, en 2022, Alberto Fernández, le président « marionnette » de Cristina Kirchner, avait décrété trois jours de deuil. Cela, alors que planait encore dans l’air le souvenir de ses propos émaillés de gros mots et de haine (parmi d’autres mémorables, comme son violent ex abrupt contre l’enfant du président Mauricio Macri) mais aussi l’implication dans le « Scandale Schoklender » un retentissant cas de corruption lié à ses associés les parricides Pablo et Sergio Schoklender. À cet égard, la semaine dernière Silvio Klein, auteur de Venezuela duele(1), n’a pas mâché ces mots pour exprimer ce que beaucoup n’ont pas le courage de dire : « Las Madres de Plaza de Mayo es una asociación ilícita ». 

Si l’on s’intéresse à leur activisme politique, il faut se souvenir que la sympathie de l’organisation par la dictature chaviste ne date pas d’hier. En 2003, l’inauguration de l’université Nacional Madres de la Plaza de Mayo par Hugo Chávez lui-même a définitivement scellé les liens avec la révolution bolivarienne. En août 2016, Maduro a exprimé son « soutien et sa solidarité » à Hebe de Bonafini après que la justice argentine ordonnait son arrestation au milieu d’une affaire de détournement de fonds publics. En janvier 2019, Hebe de Bonafini déclarait que le « Venezuela, c’est une pure démocratie » alors qu’à ce moment la répression contre les protestations de l’opposition laissait un bilan de 26 morts (en mai 2019, le gouvernement de Nicolás Maduro fut accusé de crimes de lèse-humanité par plusieurs organismes internationaux dont Amnesty).  En octobre 2020, Hebe de Bonafini a adressé un message à Nicolás Maduro en s’excusant publiquement au « nom de millions d’Argentins » par le décision du gouvernement argentin de condamner, à l’ONU, la violation des droits humains au Venezuela. 

C’est à cette occasion que la même Bonafini rappelait, dans son message à Maduro, que Chávez « nous a donné de l’argent » et qu’il « a aidé Nestor [Kirchner]. Et Nestor aimait et respectait énormément Chávez ». Or, il faut rappeler que pendant les années d’expansion économique, lorsque le prix du pétrole battait des records, Hugo Chávez a beaucoup aidé – pour ne pas dire « arrosé » – les gouvernements qui ont fait partie de la vague de gauche qui a déferlé sur l’Amérique latine dans les années 2000. Mentionnons au passage ce que Nestor Kirchner aimait beaucoup : son coffre-fort, comme cela a été enregistré dans le vidéo de la « passion irrépressible » de Nestor Kirchner diffusé par le journaliste Jorge Lanata : « Quand je vois ce coffre… Extase ! », s’exclame celui qui était alors, vers la fin des années 1990, un jeune gouverneur de la province de Santa Cruz. 

Enfin, à ces déclarations pro-chavisme s’ajoutent les éloges de Bonafini à la dictature de Fidel Castro ou encore sa célébration des attentats du 11 septembre 2001 à New York. C’est une ligne de conduite qui mène tout naturellement vers les chiffres du ravage vénézuelien, depuis la prise du pouvoir de Chávez jusqu’à aujourd’hui : PIB : -70 %; production de pétrole: – 80 % ; inflation cumulée: + 2 000 000 % ; salaire minimum mensuel : 3,20 euros (- 98 %); extrême pauvreté : 52 %. En soutenant Nicolás Maduro et ses sbires, ce sont ces chiffres que l’association Mères de la Place de Mai approuve, mais aussi le terrible bilan de la répression sous son régime : 15 800 détenus politiques, 1 652 victimes reconnues de la torture, plus de 300 manifestants assassinés, 39 disparitions forcées (en attendant, hélas, les nouvelles chiffres de cette semaine), sans oublier les 8,5 millions de ses compatriotes qui ont quitté leur pays. Voilà pour ce qui est de l’exemplaire militance pour la défense des droits humains. Comme disait Henri-Frédéric Amiel« la démocratie arrivera à l’absurde en remettant la décision des plus grandes choses aux plus incapables. » (2)

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