Présidentielles vénézuéliennes : « Démocratie dégagiste, tribalisme latino-américain »

« Dehors ! », dehors Maduro, pour les uns, dehors Edmundo González, pour les autres. Tel est le dénominateur commun des participants aux présidentielles vénézuéliennes du dimanche 28 juillet dernier. Les uns, pour qui l’aurait oublié, partisans du régime bolivarien en place depuis le 1er janvier 1999, sont derrière Nicolás Maduro. Les autres, sous la bannière d’Edmundo González, sont exclus de l’exercice du pouvoir depuis le 1er janvier 1999, pour faire court.  Loin d’apaiser par un bulletin de vote les positions contraires, des uns, et des autres, l’élection de dimanche dernier a accru la confusion et les dérives violentes.

Photo : AA

La démocratie, au Venezuela comme en France, est censée arbitrer pacifiquement les différends sociaux et politiques par voie électorale. C’est un tel décor démocratique qui a été planté au Venezuela dimanche 28 juillet 2024. De Caracas à Coro, les Vénézuéliens, de sensibilités opposées ont voté pour choisir à la loyale, leur président. La pluralité de l’offre a bien été au rendez-vous. Les électeurs avaient dix options possibles. Le sortant Nicolás Maduro, aux couleurs du Grand Pôle patriotique, défendait bec et ongles la continuité du régime installé par Hugo Chávez. Neuf candidats concurrents, aux identités diverses prêchaient pour l’alternance : un évangélique digital, un représentant des partis alternants au pouvoir avant le « chavisme ». L’un des prétendants du lot oppositionnel, un vieux monsieur, diplomate à la retraite, Edmundo González, rassemblait sous la houlette de la plateforme dite unitaire de l’opposition, une palette d’organisations. Les centres de vote étaient en nombre, plus de 15 000, couvrant le territoire national. Tous dotés de machines à voter électroniques, de qualité reconnue par les uns, comme par les autres », vendues par la société argentine ExClé.

L’exercice du devoir de citoyen répondait à un parcours exemplaire : après vérification de son identité par des personnes en « service électoral », tirées au sort, l’électeur derrière une sorte de paravent cartonné, placé devant l’écran de la machine appuie sur le numéro et la photo de son candidat préféré. La boite à voter lui crache alors un bon, confirmant son vote et son choix, charge à lui de mettre ce bulletin dans une urne classique, avant d’émarger sur la liste des inscrits. Le tout sous la surveillance de représentants des différents candidats, dont les noms ont été préalablement signalés à l’organisme chargé de l’organisation de la consultation, le CNE, Conseil national électoral. Les bordereaux établis par les bureaux de vote, après vérification du parallélisme entre votes enregistrés par la machine et décompte manuel des bons validant vote et choix des électeurs, sont alors envoyés au CNE, qui centralise les résultats, puis les annonce, cette fois-ci la victoire de Nicolás Maduro avec 51,2 % des voix, devant Edmundo González Urrutia, 44, 2 %.

Derrière un décor et un rituel démocratiquement « nickels », au matin du 29 juillet, les noms d’oiseau ont fusé de part et d’autre. Le sortant, Nicolás Maduro, s’est proclamé vainqueur après comptabilisation de 80 % des suffrages exprimés. Le candidat de la plateforme unitaire s’est lui proclamé élu, en raison de la fraude. Chacun avec ses chiffres a dénoncé avec vigueur l’adversaire, comme un truqueur démocratique. Le voltage critique est rapidement monté. Les manifestations des opposants ont été réprimées par les polices, avec un bilan encore ouvert de victimes mortelles et de blessés. Que croire ? Le camp officiel, bolivarien, et l’autre, celui de ses détracteurs, ont tous deux un passif de mauvais joueur. On se rappelle côté opposition, le coup d’État raté de 2002, la tentative d’invasion « humanitaire » de 2019 à partir du territoire colombien, l’autoproclamation comme chef d’État, du président de l’Assemblée nationale, Juan Guaido, en 2019, et bien d’autres appels à la violence pour en finir avec le régime « bolivarien ». Du côté pouvoir en place, les pièges institutionnels à légitimité démocratique réduite ont été nombreux. Élus majoritairement en décembre 2015, les députés d’opposition ont été privés d’exercice effectif du pouvoir législatif. Le Tribunal supérieur, arbitre constitutionnel, a été dès la fin décembre élargi à des entrants proches du pouvoir. Il s’est alors donné les compétences de l’Assemblée législative jusqu’à élection d’une Constituante, selon un mode de scrutin modifié pour la circonstance. Composée de proches du pouvoir cette Assemblée s’est attribué les compétences législatives de l’Assemblée nationale, et n’a rédigé aucun projet de Constituante. Les opposants les plus populaires ou considérés comme tels ont été condamnés pour diverses raisons, « corruption »« troubles à l’ordre public »« terrorisme » et privés de leurs droits civiques pour une période de quinze ans, comme Henrique Capriles en 2017, quelques mois avant la consultation présidentielle de 2018.

La victoire du sortant Nicolás Maduro, le 28 juillet 2024, était inscrite dans le scénario.  Carolina María Machado, après avoir survolé les primaires de l’opposition en octobre 2023, a connu le sort de Capriles. Le 26 janvier 2024 elle a perdu ses droits civiques pour quinze ans. Corina Yoris, proposée comme suppléante par l’opposition, n’a pas pu faire acte de candidature en mars 2024. Le portail digital du CNE a refusé de façon répétée ses tentatives, en raison d’un problème orthographique sur son nom. Peut-être saura-t-on un jour s’il y a eu fraude, le 28 juillet 2024. Compte tenu du passif démocratique accumulé il y a doute sur le résultat. Pourquoi Nicolás Maduro, alors que le dépouillement était en cours, s’est-il déclaré vainqueur ? Des soupçons pèsent sur l’absence de vérification bureau de vote par bureau de vote des comptes rendus envoyés par les centres de vote au CNE au terme du scrutin. Le CNE ne les a plus communiqués à partir d’une certaine heure la nuit du 28 au 29 juillet. Et pourquoi, au lieu de fournir les éléments qui permettraient de vérifier la validité du résultat, le vainqueur proclamé, s’y refuse-t-il ? Le procureur général Tarek William Saab a annoncé l’ouverture d’une enquête signalant l’opposition comme étant à l’origine de la panne informatique ayant empêché la divulgation sur le portail du CNE des bordereaux électoraux. Mais ici encore, il s’agit d’un signalement unilatéral. Le « bug » réparé ces bordereaux n’ont pas été davantage rendus publics par le CNE.
 
Les pays voisins latino-américains ont participé à cette chorale discordante. Les uns ont félicité Nicolás Maduro, les autres ont dénoncé une mascarade électorale.  Le ton, ou le « la », le plus strident a été donné par le métronome de Buenos Aires. Le président argentin, Javier Milei, a salué un vote « mettant un point final à la dictature communiste de Nicolás Maduro. L’Argentine ne va pas reconnaître (…) la fraude. (…) La Liberté Avance en Amérique latine. Dictateur Maduro, dehors !!! ». La réponse de l’interpellé a été de la même eau. « Non Milei, nazi-fasciste. Avec en plus ta tête de monstre. Tu es moche, stupide. Tu ne tiendrais pas un round en face de moi ». En revanche, les autorités cubaines ont à l’annonce du résultat estimé « qu’aujourd’hui c’est la dignité et la valeur du peuple vénézuélien qui a triomphé des pressions et manipulations. » Le constat que l’on peut tirer de ces commentaires qualitatifs est double. L’élection, au Venezuela, a perdu tout esprit démocratique. Elle ne permet pas de dépasser pacifiquement les contradictions politiques et sociales. La diabolisation, et donc la déshumanisation de l’adversaire, communiste, pour les uns, ou fasciste, pour les autres, est telle, qu’elles amplifient les violences, et justifient la fraude. Maduro est pour les opposants aujourd’hui un imposteur. Pour Maduro, les opposants sont des criminels. Le deuxième tour se déroule sans surprise dans la rue, depuis le 29 juillet.
 
Les Latino-Américains, les Occidentaux, la Chine et la Russie, ont instrumentalisé ces élections. Selon la place que chacun des acteurs internationaux occupe, ou entend occuper, en Amérique latine et dans le monde, ces élections ont été exemplaires ou honteuses. Chine et Russie, Bolivie, Cuba, Nicaragua, et Honduras ont adressé de chaleureuses félicitations à Nicolás Maduro. Dix pays d’Amérique latine et l’OEA ont collectivement dénoncé la fraude, l’Argentine, le Chili, le Costa Rica, l’Équateur, Panama, le Paraguay, le Pérou, la République dominicaine, le Salvador, l’Uruguay. Les États-Unis ont signalé leurs réserves de façon moins directe. Le président Biden a téléphoné à Lula. Mais il a lui aussi comme le Canada demandé la saisine de l’OEA.  Un certain nombre de gouvernants progressistes latino-américains, arrivés au pouvoir par la voie des urnes, Brésil, Chili, Colombie, Guatemala, ont recommandé un décompte clair et transparent des votes émis, la publication des bordereaux d’émargement envoyés par les centres de vote au CNE. Le président brésilien, en cohérence avec son initiative régionale collective de l’année dernière, a tenté de la sorte de sauver la capacité des Latino-Américains de parler d’une seule voix. Mais, en s’accrochant au pouvoir, Nicolás Maduro, loin de renforcer « l’Alliance des peuples de notre Amérique » (ALBA), message du régime bolivarien, a en effet fracturé la CAN, la CELAC, le MERCOSUR, l’UNASUR *.

Le divorce a été consommé le 31 juillet au siège de l’OEA. 17 pays ont exigé du Venezuela la publication immédiate des bordereaux électoraux : l’Argentine, le Canada, le Chili, le Costa Rica, l’Équateur, les États-Unis, le Guatemala, le Guyana, Haïti, la Jamaïque, Panama, le Paraguay, le Pérou, la République dominicaine, le Salvador, le Surimam, l’Uruguay. Onze se sont abstenus : Antigua-et-Barbuda, les Bahamas, les Barbades, Belize, la Bolivie, le Brésil, la Colombie Grenade, le Honduras, Saint-Christophe et Nieves, Sainte-Lucie. Cinq n’ont pas pris part au vote : la Dominique, le Mexique, Saint-Vincent-et-Grenadines, Trinidad-et-Tobago, le Venezuela.

Lula et Petro, dirigeants du Brésil et de Colombie, ont tous deux souhaité la fin des ingérences extérieures, des sanctions nord-américaines et européennes, et parallèlement appelé Nicolás Maduro, à permettre une révision des comptes électoraux. Le président colombien Gustavo Petro, a par exemple fait part de ses « doutes profonds sur le processus électoral vénézuélien » (…) « Quoi qu’il se passe au Venezuela, la Colombie sera affectée (…) l’Amérique latine doit être une région de Démocratie, de Liberté, de Paix, (…) dans la situation actuelle du monde où le droit international s’est rompu (…) où la Caraïbe peut devenir un foyer de violences et d’instabilité alimentées par des puissances étrangères (…) J’invite le gouvernement vénézuélien à permettre un final  électoral en paix, un scrutin transparent, un décompte des voix, des bordereaux, avec la participation de toutes les forces politiques et un appui de compétences internationales ».