Avignon IN et OFF… sur les pas des expressions latino-américaines…

Cette année nous avons passé une belle semaine à suivre la déferlante de pièces présentées à Avignon ; nous vous proposons ici nos commentaires sur Los Guardiola, Frida et Dali et Lorca de la metteuse en scène chilienne Jessica Walker.

Photo : Avignon

Un moment de légèreté et de douceur nous est proposé par les deux comédiens danseurs qui nous emportent dans cette histoire sans paroles, constituée de plusieurs tableaux aux ambiances variées qui construisent un univers élégant et poétique. Le mime, la danse classique et le ou plutôt les tangos se succèdent avec fluidité et c’est une réelle complicité doublée de tendresse, de séduction et d’une pointe d’espièglerie que donne à voir le couple sur la scène. Les jeux sur les ombres et sur les lumières, ainsi que sur le noir et blanc participent de cette évocation douce de la réalité. Los Guardiola, c’est un moment de pause musicale dansée dans la frénésie du festival qui a su conquérir le public présent. 

Dominique Fataccioli met en scène le texte de Brigitte Bloch-Tabet qui explore une rencontre imaginée entre Frida Khalo et Salvador Dalí à la Casa Azul de l’artiste mexicaine à Mexico. Ce sont Jean-Baptiste Brucker et Codrina Pricopoaia qui se donnent la réplique dans ce dialogue savoureux dont les mots brossent un portrait haut en couleur de chacun de ces deux peintres contemporains. Les comédiens incarnent avec présence et force les deux artistes de légende. Ce sont surtout leurs différences fondamentales dans leur vision de la vie, de la création, de l’art et de l’artiste qui constituent le cœur de l’argument de la pièce et en font le sel. Les jeux de mots se succèdent et nous plongent dans une ambiance surréaliste. Frida, en proie à de grandes douleurs physiques est en fauteuil roulant et parvient à faire face à un Dalí valide souvent narquois qu’elle n’hésite pas à rabrouer vertement. Cette proposition artistique étonne le public qui passe un très bon moment en entrant dans ce moment d’intimité dont il devient le témoin heureux. 

La metteuse en scène chilienne Jessica Walker qui réside et travaille à Barcelone a répondu à la demande du théâtre de l’Adresse en proposant ce spectacle sur Federico García Lorca, après avoir représenté en 2023 un spectacle touchant et fort intitulé Allende qui a reçu un accueil intense au Chili où il a été joué en la date symbolique du 11 septembre 2023 en présence d’un public jeune, d’étudiants et d’élèves, comme elle nous en a fait part après la représentation. Le portrait du poète espagnol Lorca se dessine par ses mots, sa poésie, sa sensibilité et ses émotions. Plusieurs épisodes de sa vie sont repris, et les membres de sa famille, ses amis ou encore d’autres artistes apparaissent, le portrait du poète se brossant par les liens qu’il a pu tisser. Des moments dramatiques coexistent avec des moments plus drôles et enjoués. L’assassinat de Lorca, événement leitmotiv évoqué plusieurs fois au cours du spectacle devient également le symbole de celui d’autres victimes d’oppressions, comme Samuel Luiz, jeune homosexuel agressé et tué en 2021 en Espagne.  

La mort est bien omniprésente dans cette pièce, et elle est incarnée par le personnage d’une Catrina mexicaine qui est toujours sur scène, parfois silencieuse, rôdant autour des personnages, et communiquant parfois avec eux. La préparation de ce spectacle a nécessité un méticuleux travail d’investigation, au cours duquel Jessica Walker a notamment lu les ouvrages d’Ian Gibson, le plus grand spécialiste au monde de Lorca. Elle a fait le choix de lui donner une place dans sa pièce car cela lui est apparu comme une nécessité incontournable : il devient donc un des personnages que découvre un spectateur qui peut en outre, entendre la voix originale du biographe saisie lors de la recherche de l’emplacement du corps de Lorca, grâce à un enregistrement diffusé. Ce recours à l’archive originale est un procédé récurrent dans les mises en scène de Jessica Walker qui avait diffusé des vidéos d’Allende dans le spectacle précédent. Ce choix témoigne à la fois d’une volonté de se référer à la source première et de faire revivre au spectateur les événements historiques en étant au plus près du réel et en s’appuyant sur la charge émotionnelle forte que portent en eux les faits, les mots et les images que la metteuse en scène choisit de transmettre dans cette fiction théâtrale historique. 

Jessica Walker signe une mise en scène éloquente où l’Andalousie de Lorca jaillit de chaque recoin, où les comédiens jouent et se poursuivent dans un décor d’échafaudage et de caissons qui symbolisent des cercueils, qui alimentent l’isotopie de la mort déployée sur la scène.  Pour elle qui fonde son travail sur l’intuition et l’inspiration, ce qui compte, nous confie-t-elle, c’est la présence scénique et le langage des émotions qui sont indispensables lorsque l’on veut transmettre. 

Et l’équation présence et émotion pour favoriser la transmission est réussie. Le public a en effet répondu présent : à Barcelone, les huit premières représentations affichaient complet trois semaines avant la première. À Avignon le public a tout de suite été là : ceux qui avaient eu le plaisir de voir Allende l’année précédente sont revenus, la présentation de la pièce en ville était intrigante et haute en couleur et a attiré les spectateurs. C’est cette pièce que Jessica Walker a choisi de présenter en novembre 2024 à Madrid lors d’une rencontre ibéro-américaine pour laquelle elle a été invitée.  Nous vous invitons à suivre les actualités de cette compagnie sur sa page Instagram et à surveiller leur passage en France, à Avignon et ailleurs. Ses spectacles de grande qualité ébranlent et émeuvent le spectateur qui sort de la salle transformée.