Suites depuis le festival de théâtre d’Avignon avec deux pièces autour de l’Argentine…

Buenos Aires 1920, une pièce très rythmée mise en scène par Raffaele Salis qui est également l’auteur et scénariste et une autre soutenue par Amnesty International, Desaparecidos, jouée en italien et surtitrée en français. Une véritable intensité émotionnelle : bravo pour ce pari audacieux de venir à Avignon avec ce texte !

Buenos Aires 1920, Raffaele Salis, Au Palace

C’est dans l’Argentine des années 1920 que cette pièce nous transporte à Buenos Aires et plus précisément dans un bar tenu par un immigré italien et sur les quais de cette même ville.  Le thème central de cette pièce est l’exil, le transit et la migration, ainsi que l’arrivée sur un nouveau sol avec les difficultés que cela peut signifier. Un frère et une sœur arrivent d’Italie à la recherche de leur père, qui avait migré dans ce même pays vingt ans plus tôt et dont ils n’ont plus de nouvelles. Ils découvrent une ville carrefour culturel où dangers, agressions, prostitution et violences accueillent les voyageurs, dans une vision éloignée de celle de l’Eldorado espéré et attendu. Ils y rencontrent l’Argentin et l’Italien, chacun représentant de son groupe culturel, ainsi que le douanier, référent de l’État, sans oublier Stella, la patronne des « femmes du quai ».

Entre 1880 et 1930, plus de 2 millions 300 000 Italiens émigrent vers l’Argentine. L’histoire de Santo et Sandra pourrait donc être celle de l’un d’entre eux. La tension dramatique est constante au fil de la pièce, alimentée par les choix de mise en scène et d’accessoires, et les sept comédiens campent des personnages traversés par de multiples émotions fortes. Cette pièce dont le metteur en scène Raffaele Salis est également auteur, scénariste et réalisateur est très rythmée : avec des allures de film d’action, elle garde le public en haleine, et l’embarque dans ce voyage vers l’Argentine des années 1920 en nous faisant découvrir l’ambiance singulière qui y régnait. 

Cette pièce primée en 2023 et soutenue par Amnesty International Italie est jouée en italien – et surtitrée en français. Nous sommes en Argentine après 1976 et la prise de pouvoir par les militaires qui ont mis en place à grande échelle la disparition forcée de personnes. Entre 1976 et 1983 plus de 30 000 personnes ont « disparu ». Ce sont ces absents, ces « desaparecidos » qui sont au cœur de ce spectacle, et le spectateur approche de près les émotions des victimes de cette répression violente en écoutant le témoignage inspiré de l’histoire vraie de l’Italien Martino Mastinu dit El Tano

Sur scène se trouvent un guitariste ainsi qu’un comédien masqué qui joue quatre rôles et change d’accessoire et de place sur scène pour signifier à son public le changement d’identité. Il est tour à tour une « abuela » (« grand-mère ») de la place de Mai, Martino Mastinu, un jeune Italien émigré en Argentine qui devient ouvrier syndicaliste puis, recherché par le régime, finit par « disparaître ». Le comédien se coiffe d’une casquette militaire pour faire parler un militaire voire Videla, et enfin incarne un « inconscient », version adaptée du chœur antique. Certaines phrases telles « I have a dream » ponctuent la pièce ; des contextes historiques sont mis en parallèle, comme les disparus argentins qui sont comparés aux juifs entrés dans les camps de concentration et déshumanisés. Sont égrenées des informations historiques et politiques concrètes : le Plan Condor, la coupe du Monde de 1978 en Argentine, Perón, Evita et Isabelita, la loi du « point final », celle du « devoir d’obéissance » ou encore les procès ouverts en Italie dans les années 2000. Des informations sur les enfants volés et les moyens de les rechercher sont explicités. Certaines techniques de torture et de disparition, ainsi que le mode opératoire de la junte militaire pour enlever ses victimes sont cités voire détaillés. Le texte sonne juste, émeut et touche.

Par une mise en scène épurée et très efficace, le spectateur fait face à la réalité brutale et violente vécue par les Argentins pendant les années de dictature. Le témoignage à la première personne crée un lien direct avec le spectateur dépositaire de la confidence des victimes. Dans cette pièce, rien de surjoué ou d’exagéré : la dure réalité se suffit à elle-même. On sort du Garage International informé et transformé. Un moment d’une véritable intensité émotionnelle : bravo pour ce pari audacieux de venir à Avignon avec ce texte !