Avignon 2024… au fil de l’eau : impressions et critiques festivalières

Depuis le cœur du 78e festival d’Avignon, nous étofferons notre carnet de critiques de spectacles au fil des jours, des découvertes, des pièces vues et appréciées, en laissant leur place aux créations d’autres horizons culturels que l’Amérique latine si celles-ci nous ont touchés, intéressés ou émus. Si le théâtre est roi à Avignon, c’est sans doute la danse qui y est reine comme en atteste la présence de nombreux spectacles issus de plusieurs styles de danse et de divers pays. Ces propositions offrent une grande qualité artistique et technique qui saura atteindre les festivaliers.

Photo : Avignon off

En chemin vers une pièce de tango, nous avons voyagé jusqu’à Taïwan, pays invité d’honneur de ce festival, grâce à la compagnie Chun Dance. Le ministère de la Culture de ce pays a sélectionné des troupes afin qu’elles voyagent et diffusent la variété de la culture et de la danse nationale. La qualité de ce spectacle, la fluidité des mouvements, la légèreté et la simplicité qui semblent accompagner les portés les plus techniques ainsi que le travail sur les accessoires et les éclairages sont une invitation à l’évasion et à la poésie des corps. Un moment de beauté, un jeu sur les drapés en tissu rouge, blanc ou encore plastifiés, pour évoquer les vagues océanes, ou la sensualité d’un corps à demi dévoilé. Ici, à la Condition des soies, ce spectacle est sublimé par ce lieu à l’ambiance si particulière, dans une salle intimiste, ronde et en pierres, qui compte trois entrées pour les danseurs. Ce spectacle onirique est d’une beauté visuelle captivante pour petits et grands. 

Dans ce même projet de diffusion taiwanais figurent trois autres spectacles dont, toujours à la Condition des soies In factory, de Chung-An Chang qui met en scène la mécanisation du travail et la robotisation de l’être humain amplifiées par la présence de plateformes coulissantes et de choix de mouvements répétitifs et scandés. Le son parfois dérange et oppresse le spectateur, à l’image de ces travailleurs obligés d’entrer dans le rang pour être les plus productifs possible. Une mise en scène opératoire et efficace qui embarque le spectateur avec lui et ne laisse pas indifférent!  Le projet RodinLady Macbeth, de Po-Yuan Chung est quant à lui une exploration existentielle de la vie d’une femme, représentée sous nos yeux à trois âges différents, avec des corps, gestuelles et capacités différentes selon leur âge. Des clins d’œil à la statuaire dans des moments d’immobilité des danseuses figent l’instant. Enfin, #Since 1984, de Chih-Ling Mei, présenté au Rouge Gorge, est une réflexion sur la condition féminine envisagée dans ce spectacle de cirque-gymnastique-danse. La femme-objet, la femme-poupée, maquillée et souriante, vêtue de jolis costumes féminins hauts en couleur laisse la place à des femmes plus rebelles dans leur attitude, dans leur relation au monde. Leur costume pailleté est retiré et remplacé par une tenue plus « neutre » et confortable pour danser (vêtements courts et près du corps, couleur chair), costume qui ne prend plus le pas sur l’être féminin qui le porte. Des figures remarquables d’adresse et de coordination !

Voilà un spectacle éblouissant qui séduit au fil des tableaux et qui capte l’attention d’un auditoire très attentif et sous le charme. La Tangoart Company présente Last Birds pièce chorégraphiée par Ariane Liautaud, qui a vécu en Argentine et qui imagine une pièce pour six danseurs (dont deux Argentins) où le spectateur découvre une autre approche du tango, novatrice et créatrice. Sous nos yeux, les danseurs réinventent le tango argentin, tout en en conservant l’essence.  Les musiques sont de styles variés – musique classique, chanson française et latino-américaine, musique techno et bien sûr quelques airs plus attendus aux mélodies argentines-, les danseurs font des pas de deux, mais aussi des pas de trois, de quatre et dansent ainsi un tango renouvelé et étonnant. Et l’on voit au fil du spectacle un danseur avec deux partenaires, ou quatre danseurs ensemble, des pas de deux originaux, des portés multiples et parfois assez acrobatiques, le tout avec une harmonie des corps qui s’entrecroisent toujours dans une grande technicité du geste dansé. Le spectateur fait un voyage onirique et poétique, passe de l’autre côté du miroir, perçoit cette quintessence d’humanité sensible, sensorielle et sensuelle. Cette pièce est un moment suspendu de beauté et de grâce, qui éloigne le tango des clichés habituels et qui combine tango et danse contemporaine, avec légèreté et justesse. Si vous le pouvez, allez les voir : les images et les émotions du spectacle lui-même valent mieux que mille mots !