Dans les rues de Caracas et parmi les Vénézuéliens en exil aux États-Unis, en Amérique latine et en Europe, on soupèse des chiffres et on se raconte des anecdotes sur l’inventivité du pouvoir chaviste pour éviter des élections présidentielles transparentes et inclusives. Comment truquer à grande échelle les résultats sans que cela ne soit condamné par la communauté internationale ? Même la tenue des élections le 28 juillet n’est pas certaine.
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Le premier obstacle a été dressé en mars 2024 par le Conseil National Électoral (CNE) qui a récusé la candidature de Maria Corina Machado, candidate de la plateforme unitaire de l’opposition (PUD). Une candidate alternative que Maria Corina Machado a adoubée, faute de pouvoir se présenter elle-même pour des raisons juridiques qu’elle récuse, a trouvé les portes closes en se présentant devant le CNE, en temps et en heure. Finalement le vote pour un changement se porte sur un candidat unitaire inattendu, Edmundo González Urrutia, un ancien diplomate de 71 ans.
Les accords de La Barbade entre les représentants du président Nicolás Maduro et le PUD prévoyaient la présence d’observateurs internationaux. En mai, le CNE vénézuélien a révoqué la présence d’une mission électorale de l’Union européenne. Quelques jours plus tard, le ministre des Affaires étrangères de Colombie renonçait à envoyer une mission d’observation de la compétition électorale du 28 juillet. Comme le Président colombien, le président du Brésil qui souhaitait une ample présence de témoins et d’observateurs, voit son Tribunal Supérieur Électoral annoncer que le Brésil sera également absent.
Restent les Nations-Unies et le Centre Carter qui ont été invités comme observateurs et dont on ne sait pas encore s’ils répondront à cette invitation. Les dirigeants du G7 réunis en Italie du 13 au 15 juin ont « appelé le Venezuela à mettre pleinement en œuvre les Accords de La Barbade et à garantir des élections concurrentielles le 28 juillet qui incluent des missions d’observation électorale internationales complètes et crédibles ». Le harcèlement des membres de l’opposition et la libération des prisonniers politiques sont également dénoncés et demandés dans le communiqué final signé par les membres du G7.
Les autorités vénézuéliennes ne s’emploient pas seulement à bloquer, harceler ou emprisonner les leaders de l’opposition et à monopoliser les moyens de communication, ils s’occupent aussi des électeurs. Pour les Vénézuéliens en exil, les obstacles se trouvent dans les officines consulaires à l’étranger. Rédactrice à Americas Quarterly (AQ), revue d’analyse consacrée à la politique, à l’économie et à la culture d’Amérique latine, Tamara Taraciuk Broner rapporte qu’au consulat du Venezuela en Uruguay où elle s’est rendue pour s’inscrire dans les registres électoraux, on lui a demandé sa carte d’identité vénézuélienne, son passeport et sa carte de séjour uruguayenne. À l’examen des documents, l’agent consulaire lui dit « Nous avons un problème ». Selon le CNE, les Vénézuéliens doivent avoir une résidence d’au moins une année à l’étranger et détenir un document de séjour du pays d’accueil qui expire au moins trois ans après les élections. Comme les autorités uruguayennes ne délivrent de carte de séjour que pour trois ans il devient impossible de pouvoir s’inscrire sur les listes électorales. Cette impossibilité fonctionne à plein dans tous les pays à coups de limitations diverses : ouverture des registres électoraux pour onze jours (en Uruguay), documents impossibles à obtenir, règles absurdes : 37 Vénézuéliens sur 22 000 éligibles ont pu surmonter les obstacles en Uruguay. Sur les plus de quatre millions de Vénézuéliens en droit de voter à l’étranger (22 % de l’électorat) seulement 69 000 ont pu le faire fin juin selon More Consulting, institut de sondages et d’enquêtes établi à Caracas
À l’intérieur du pays, les quelque trois millions de Vénézuéliens non inscrits doivent aussi surmonter des obstacles logistiques et se consacrer avant tout à leur survie dans une économie dévastée. Combien seront en mesure d’exercer leurs droits ? Malgré tout, la mobilisation semble forte et les Vénézuéliens en exil empêchés d’exercer leurs droits semblent dire à leurs familles et amis dans le pays : vote pour moi !
La menace est telle pour le pouvoir en place que l’opposition, si elle finissait par l’emporter en dépit de tous les obstacles et comme toutes les enquêtes l’indiquent, réfléchit à une loi d’amnistie des oligarques bolivariens pour leur éviter jugements et prison. Une large majorité de Vénézuéliens serait d’accord pour tourner la page de manière pacifique.
Toutefois, face au risque de déroute électorale du camp Maduro, d’aucuns imaginent que les élections n’auront pas lieu. Deux scénarios sont envisagés : l’interruption de la campagne électorale « illégale » de Maria Corina Machado, présente et acclamée dans tout le pays qu’elle parcourt en voiture puisqu’elle est empêchée de prendre l’avion. Autre option pour interrompre le processus électoral : le déclenchement d’une guerre avec le Guyana au sujet de la région d’Essequibo. Les dirigeants du G7 évoquent ce conflit immédiatement après la question électorale sans établir de connexion entre les deux questions mais disent « suivre de près la situation ». Il y a un lien de contiguïté. L’échéance est proche et intéresse de nombreux acteurs régionaux et internationaux compte tenu du potentiel de déstabilisation par la question de l’émigration massive dans les Amériques et la question du pétrole, le Venezuela détenant les plus grandes réserves mondiales.
Maurice NAHORY