Beaucoup d’incertitude en Bolivie après une énième tentative de coup d’État

Près d’un an avant les prochaines élections présidentielles en Bolivie, l’avenir de la démocratie dans ce pays des Andes est mis en doute par une une tentative de coup d’État. Plus tôt dans l’après-midi du mercredi 26 juin, des forces de la police nationale et de l’armée boliviennes ont rompu les rangs pour participer à une entrée forcée dans le palais présidentiel, le Palacio Quemado, à La Paz.

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Accompagnées de chars d’assaut, les forces étaient dirigées par le général Juan José Zúñiga Macías, commandant général de l’armée (la plus haute position dans la branche militaire), avec le soutien du vice-amiral de la marine. Zúñiga et ses forces voulaient trois choses : la destitution du président Luis Arce, l’interdiction pour l’ancien président Evo Morales de se présenter de nouveau aux élections et la libération de l’ancienne présidente intérimaire Jeanine Áñez et du leader de l’opposition Luis Fernando Camacho, les deux derniers étant maintenant en prison.

Arce et Morales appartiennent tous deux au parti Mouvement vers le socialisme (MAS), qui a émergé au début des années 2000 en tant que parti pro-autochtone de gauche, dans un pays longtemps dominé par la droite militariste et chrétienne. Zúñiga et ses acolytes ont soutenu, devant le Palacio Quemado, qu’Arce et Morales menaçaient la démocratie, une allégation soutenue par certaines mesures autoritaires mises en place par les deux présidents. Notamment, Morales avait renouvelé la Constitution et prolongé son mandat présidentiel, tandis qu’Arce a pris pour cible les ONG et les journalistes opposés à son gouvernement et a déployé les forces armées pour gérer les manifestants dans la ville conservatrice de Santa Cruz.

Áñez et Camacho, quant à eux, ont été emprisonnés pour leur rôle dans le soulèvement de 2019 qui a entraîné le retrait forcé d’Evo Morales à la suite d’allégations de fraude électorale de l’Organisation des États américains. Avec le soutien de l’armée et de la police, l’opposition a organisé des manifestations violentes à Santa Cruz et à La Paz, forçant Morales à fuir au Mexique, après quoi Áñez a assumé la présidence intérimaire « jusqu’à ce que la démocratie soit rétablie », a-t-elle proclamé depuis le même Palacio Quemado en brandissant une Bible chrétienne.

Actuellement, il y a beaucoup d’incertitude entourant cette nouvelle tentative de coup d’État. Arce et Morales sont présentement dans une guerre civile idéologique au sein du MAS, et leurs versions de l’histoire reflètent cette dichotomie. Arce est perçu comme étant un économiste technocratique et gestionnaire de crise (il était ministre des Finances de Morales lors de ses meilleures années économiques), tandis que Morales est vu comme un leader charismatique et flamboyant capable de diriger les gouvernements de gauche de la région.

Arce et les gouvernements socialistes alliés dans l’hémisphère occidental, dont Xiomara Castro au Honduras, Andrés Manuel López Obrador au Mexique et Nicolás Maduro au Venezuela, ont tous fermement dénoncé le coup d’État et exprimé leur soutien à la poursuite de la démocratie. Maduro, quant à lui, a exprimé un soutien direct à la fois à Arce et à Morales, possiblement dans une tentative de gagner la faveur des deux hommes après la prochaine élection. Le camp d’Arce reproche à la fois à Morales et à l’opposition de droite d’avoir orchestré le coup d’État, en pointant du doigt Morales, qui travaillerait avec la droite pour propager des histoires nuisibles (certaines étant fausses) contre Arce, et organiserait des manifestations simultanées. Le côté de Morales, quant à lui, prétend que le coup d’État était en fait un auto coup arrangé par Arce pour consolider son propre pouvoir présidentiel. Les données de sondage sur la prochaine élection montrent une égalité très serrée entre Morales et Arce, la crise économique et financière et les résultats lents de l’industrialisation du lithium coûtant des appuis à Arce dans les zones partisanes du MAS. Un autocoup à la Erdoğan, prétend le camp de Morales, aiderait Arce à retenir ou à annuler l’élection et à justifier des actions contre ses ennemis politiques au nom de la continuité démocratique.

Cette semaine, c’est l’Assemblée générale de l’Organisation des États américains (OEA) à Washington, et le putsch pourrait être une occasion pour Arce de dénoncer ses prétendus détracteurs et de rallier la région autour de sa vision d’un avenir démocratique. Néanmoins, Morales et Arce ont tous deux dénoncé les efforts de Zúñiga comme un coup d’État. La droite, pour l’instant, n’a pas pris de position unifiée sur le coup d’État, choisissant peut-être sagement d’attendre que la situation évolue avant de choisir un camp. Ni Áñez ni Camacho n’ont commenté les événements.

Zúñiga, après avoir apparemment parlé directement avec le gouvernement d’Arce, a maintenant cessé ses efforts et a été arrêté par les autorités publiques. Le commandant n’a pas pu rassembler suffisamment de soutien, et s’est rendu. La base de soutien de la droite se trouve principalement à Santa Cruz, mais a eu du mal à capter la ferveur nationale depuis l’ascension du MAS il y a près de deux décennies, ce qui pourrait expliquer l’échec de la révolte. En conséquence, la droite s’est appuyé, historiquement, sur l’armée et la police pour obtenir du pouvoir, tentant de répéter le résultat de l’élection de 2019 ou peut-être de revenir aux gouvernements militaires du XXe siècle. Ce développement, en tout effet, met une halte aux espoirs d’une élection pacifique et stable en 2025, et remet en question la stabilité de la démocratie en Bolivie, qui fête l’année prochaine ses 200 ans d’indépendance de l’Espagne coloniale.

La Bolivie a subi une série de coups d’État et de manifestations violentes tout au long de son histoire démocratique moderne, que ce soit pendant la dictature militaire soutenue par les États-Unis pendant la guerre froide, à Cochabamba en 2000, les élections contestées de 2005, de 2014 et de 2019, ou les blocus à Santa Cruz en 2022. Presque tout le processus d’industrialisation du lithium depuis 2006 a été marqué par une résistance violente dans tout le pays, laissant de nombreux morts. Malheureusement, la violence politique, bien que contenue, semble faire partie de l’ethos démocratique de la Bolivie. Les Boliviens sont maintenant conditionnés à la nature cyclique de l’instabilité politique dans leur pays. Alors que certains ont choisi de quitter le pays, beaucoup se sont complètement désintéressés. Elena, une vendeuse de rue d’El Alto, a déclaré à propos du coup d’État que « cela arrive toujours, mais nos vies continuent, nous nous débrouillerons avec ou sans nos prétendus dirigeants ». Il reste à voir si cette fois sera différente.