Sourde inquiétude des diplomates face à une possible arrivée du Rénovation Nationale au Quai d’Orsay

Le journal Le Monde datée du lundi 24 juin publie un tract syndical et une pétition mettant en garde contre l’affaiblissement de la France et le risque d’ingérence étrangère, alors que la politique d’Emmanuel Macron a déçu nombre de professionnels.

Photo : France Diplomatie

L’initiative en dit long sur le climat d’attentisme mais aussi de défiance qui a saisi le ministère des affaires étrangères depuis l’annonce de la dissolution. Dans la perspective d’une éventuelle cohabitation entre Emmanuel Macron et le Rassemblement national (RN), après le second tour des élections législatives, le 7 juillet, une sorte de « pétition anonyme » circule au Quai d’Orsay depuis quelques jours. « Nous ne pouvons-nous résoudre à ce qu’une victoire de l’extrême droite vienne affaiblir la France et l’Europe alors que la guerre est là, dit le texte dont Le Monde a obtenu une version. Nos adversaires liront une victoire de l’extrême droite comme un affaiblissement français et une invitation à l’ingérence dans notre politique nationale, à l’agressivité contre l’Europe, y compris militairement, à la vassalisation économique de la France et du continent. »

Si le document témoigne de la fébrilité perceptible au sein du ministère, à moins de dix jours du premier tour du scrutin, il révèle tout autant la prudence qui semble être de mise dans un corps diplomatique par nature au service du gouvernement. La « pétition » chemine dans les services, sans que ni son origine, ni la liste de ses signataires ne soient dévoilées. De fait, à ce jour, rares sont les diplomates à avoir pris position ouvertement contre l’arrivée au pouvoir de la formation d’extrême droite, susceptible de faire évoluer en profondeur les fondamentaux de la diplomatie française sur des questions essentielles comme la guerre en Ukraine ou les relations avec la Russie.

Karim Amellal, ambassadeur et délégué interministériel en charge de la Méditerranée, est l’un des premiers à réagir publiquement : « La victoire du RN conduirait à un affaiblissement sans précédent de notre pays vis-à-vis de nos partenaires et pire encore face à nos adversaires, dégraderait notre image et notre influence en Europe et dans le monde et ouvrirait la voie à des graves ingérences étrangères. Mobilisons-nous », a-t-il twitté, samedi 22 juin. D’après, lui, « l’inquiétude est forte parmi les ambassadeurs en poste dans les pays arabes », préoccupés par le positionnement très pro-israélien de la formation d’extrême-droite et son agenda anti-migrants.

Les personnels du Quai d’Orsay sont sur le qui-vive, comme en témoigne un tract interne diffusé par la branche maison de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) : « Il nous paraît indispensable que notre administration demeure après les législatives en mesure de servir le pays et les citoyens, sans ingérence étrangère et dans le strict cadre de l’État de droit et du respect des principes qui, toujours et partout, doivent guider le service public, notamment l’égalité et la neutralité. » « Nous devons être plus que jamais vigilants sur le fait que nul ne puisse être inquiété pour ses convictions politiques et religieuses ni discriminé du fait de ses origines géographiques ou sociales. L’obligation de loyauté ne peut pas être sans limite », prévient la CFTC.

À l’inverse, très rares sont les diplomates à avoir fait part de leur sympathie pour le RN, à l’exception notable de l’ex-ambassadeur en Algérie sous Nicolas Sarkozy puis à nouveau sous Emmanuel Macron, Xavier Driencourt. Cet ancien pilier du ministère des affaires étrangères, aujourd’hui à la retraite, assume au grand jour d’être en contact avec la formation de Marine Le Pen« En ce moment, personne ne va sortir du bois, c’est tous aux abris », observe une source syndicale soucieuse de rester anonyme. Le souvenir paraît lointain de l’ancien ambassadeur de France au Japon Thierry Dana, lors de la campagne présidentielle de 2017, qui assurait vouloir « renoncer à occuper les fonctions qui [lui] seraient confiées plutôt que de servir la diplomatie du Front national ».

Cette année-là, un groupe de diplomates avaient par ailleurs cosigné un texte appelant à voter ouvertement pour Emmanuel Macron, avant le second tour du scrutin présidentiel contre Marine Le Pen. « Cette fois-ci rien de tel, car nombre de diplomates sont déçus de la politique étrangère menée par le chef de l’État. Le sentiment général est néanmoins de renvoyer dos à dos les extrêmes, RN et LFI [La France insoumise], tant leur arrivée au pouvoir risque d’affaiblir le rôle de la France sur la scène internationale et européenne », veut croire un ancien ambassadeur.

Après sept ans de présidence Macron, les relations entre l’ancien banquier et les diplomates ont connu des hauts et des bas, notamment lorsque le gouvernement a engagé une profonde réforme du ministère, au nom de la mobilité au sein de la haute fonction publique. Un chantier bien avancé désormais, mais à l’origine d’un profond malaise parmi les diplomates de métier. À ce jour, l’attentisme est d’autant plus fort que l’activité du ministère est largement paralysée par la dissolution. Stéphane Séjourné, le ministre des Affaires étrangères, ne fait plus que de rares apparitions au Quai, accaparé par la campagne électorale qu’il mène dans la 9circonscription des Hauts-de-Seine, et par ses activités de secrétaire général de Renaissance. Les membres de son cabinet cherchent un point de chute. Certains, comme son directeur de cabinet, Luis Vassy, pourraient partir en poste à l’étranger.

Le vaste mouvement diplomatique engagé bien avant la dissolution risque cependant d’être perturbé par les échéances électorales. Une cinquantaine d’ambassades sont en jeu, dont une bonne moitié a déjà été pourvue. Mais les décisions sont en suspens dans des postes importants, comme Moscou, la représentation de la France à l’ONU, Tokyo ou Madrid. A moins de décisions avant le second tour, le sujet pourrait même devenir conflictuel dans l’hypothèse d’une cohabitation. Les ambassadeurs sont, en effet, nommés par le chef de l’État sur proposition de son ministre des Affaires étrangères, qui contresigne la décision.