Trois films argentins refont aujourd’hui surface sur les écrans français. Réalisés dans les années 1950, trahisons, machinations, femmes fatales, détectives privés et angoisses fiévreuses sont autant d’éléments propres au genre policier qui forment la toile de fond de ces trois récits de la cruauté humaine et de basculements vers le crime.
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M le maudit version argentine
Le Vampire noir (1953) de Román Viñoly Barreto est une adaptation du scénario de M le maudit, exporté en Argentine. Si l’on retrouve des éléments clefs communs avec le film de Fritz Lang, comme ce vendeur de bonbons aveugle ou le légendaire sifflement qui permet d’identifier le tueur, Le vampire noir opte quant à lui pour un récit triangulaire, autour du meurtrier (génial Nathán Pinzón qui n’a rien à envier à la folie exorbitée de Peter Lorre), de l’inspecteur et d’une sulfureuse chanteuse de cabaret, témoin essentiel à l’enquête. Le film reproduit avec vigueur cette ambiance de film noir, essentiellement dans ses allers-retours entre les égouts ténébreux et moites qui s’opposent à la surface de la ville, caniculaire et sèche. Une grande verticalité qui prend toute son ampleur lors d’une traque dans une cage d’escalier vertigineuse, scène virtuose où l’éclairage morcelé par les grilles fascine.
La soif du mal
Des ombres dures et de forts contrastes moins marqués dans le deuxième film, plus lumineux et champêtre, du même cinéaste, Que la bête meure (1952), adaptation du roman The Beast Must Die écrit par Nicholas Blake (pseudonyme de Cecil Day-Lewis, père de Daniel Day Lewis), que Claude Chabrol portera à l’écran en 1969. Felix Lane, un auteur de romans policiers, entreprend de retrouver le conducteur ayant renversé et tué son enfant. Le film est ainsi articulé autour du cadeau d’anniversaire jamais remis par son fils, un carnet de notes qui devait servir à recueillir l’inspiration du romancier et grâce auquel il annotera désormais les moyens d’échafauder son plan de revanche. L’auteur devient celui-là même du film, guidant un récit qui avance par soubresauts, entre révélations et immersion, jusqu’à investir la famille du tueur en interprétant un rôle. Le film se pare alors de quelques atours british et se fait également le portrait d’une bourgeoisie décadente et tyrannique, entre Agatha Christie, strychnine et villas démesurées.
Un meurtre pour rien de Fernando Ayala
Il prend place quant à lui dans un milieu plus prolétaire, à Ituzaingó, province rattachée à Buenos Aires où les ventilateurs tournent à plein régime entre les bureaux et les cabarets. Une grande chaleur qui donne au film sa fièvre, celle du personnage, un journaliste en proie à des cauchemars réguliers. Il va alors nourrir une profonde paranoïa pour son nouvel associé, un jeune immigré hongrois plein d’allant, avant de commettre l’irréparable. Le film brille surtout par sa construction narrative, faite de multiples rebondissements, motivée par la recherche de vérité et ses dissimulations. De quoi attester que, dans les années 50, la soif du mal était, sans l’ombre d’un doute, tout aussi puissante en Argentine.
D’après le Nouvel Observateur