La Havane , capitale de la République cubaine, a reçu les 12-17 juin un détachement de la marine militaire russe saluée de 21 coups de canon à son entrée dans le port. Le lendemain, les 13-14 juin, à Borgo Egnazia, l’Italie, a reçu le dernier « G7 », cénacle des Etats-Unis et de leurs alliés principaux. La Russie en effet n’est plus membre du G8, redevenu G7, depuis 2014. Il a beaucoup été question pourtant, de la Russie, à Borgo Egnazia, en présence de plusieurs gouvernants latino-américains. Rebelote en Suisse, à Bürgenstock, 24 heures plus tard. Là, les 15 et 16 juin, un Forum de puissances occidentales et assimilées s’est réuni pour parler Ukraine, et encore Russie. Toujours avec le président de Kiev, mais sans son homologue de Moscou, en présence ici encore d’invités latino-américains.
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Le hasard du calendrier est seul officiellement responsable de ces chocs évènementiels. Le premier dans l’ordre chronologique, celui donc du mouillage à La Havane de quatre bâtiments de la flotte militaire nord du Kremlin, selon les communiqués officiels « répond à l’histoire des relations d’amitié » entre Cuba et la Russie. Le communiqué cubain, signale par ailleurs que les matelots russes « visiteront des lieux d’intérêt historique et culturel ». Les quatre vaisseaux, conformément aux engagements pris par les puissances nucléaires signataires du Traité de Tlatelolco, ne portent aucun vecteur atomique. Même si l’un d’eux le Kazan, est un sous-marin, habituellement doté de ce type d’armes. Et qu’un autre, la frégate Amiral Gorshkov, est équipé de missiles de haute précision, connus sous le nom de Zircon, d’une portée de 1000 kilomètres.
Même son de cloche dans les Pouilles italiennes et les alpages helvétiques. RAS, c’est à dire rien à signaler. « Le Groupe des sept », nous dit le communiqué final du sommet, « a réaffirmé son unité et sa détermination pour affronter les défis du monde à un moment crucial de l’histoire ». « Après les avoir déclinés, et fait clignoter « l’envoi d’un signal clair à la Russie », « nous », poursuit le texte, « souhaitons une chaleureuse bienvenue aux représentants » d’une dizaine de pays hors zone de décisions, cités par ordre alphabétique. Argentine et Brésil, Milei et Lula, étaient du nombre. Ainsi que huit autres chefs d’exécutif latino-américains.
La déclaration finale « réaffirme les principes de souveraineté, indépendance et intégrité territoriale de tous les Etats, Ukraine comprise (..) tout en déclarant que « faire la paix suppose la participation et le dialogue entre toutes les parties ». Sept présidents latino-américains, argentin, costaricien, dominicain, équatorien, guatémaltèque, péruvien, uruguayen, ont voté pour au nom de la défense de la souveraineté de Kiev. Trois, Brésil, Colombie, Mexique, ont refusé de signer en raison de l’absence de Moscou, partie au conflit. Chacun donc a choisi le pargraphe qui lui convenait.
RAS donc, à La Havane, à Borgo Egnazia, à Bürgenstock. Quatre vaisseaux russes, dont l’un est doté de missiles à moyenne portée, ont fait escale dans le port de La Havane à quelques encablures de la Floride, dans le cadre d’entrainements de routine avec un pays ami. Les Occidentaux se sont retrouvés comme ils ont l’habitude de le faire, dans des hôtels, aux noms exotiques, pour un entre soi, listant les défis russes, d’actualité depuis 2022. Spectateurs plus qu’acteurs les latino-américains ont donc ouvert l’un de leur port à la Russie, et ont été chaleureusement invités à s’associer au consensus occidental dans deux pays d’Europe. Cuba n’a eu droit à aucune remontrance de Washington. « Le conseiller sécurité de la Maison Blanche s’est borné à déclarer que « nous observons de près et avec attention. On a déjà assisté à ce genre de choses, il y en aura d’autres ». Ce qui est vrai.
C’est la troisième fois depuis les débuts du millénaire que des bateaux russes croisent en Mer des Caraïbes. Ils l’ont fait en 2008 et en 2019. Qui plus est, ce qui est passé relativement inaperçu, un patrouilleur canadien, de l’OTAN donc, le HMCS Margaret Brooke, a fait lui aussi escale à Cuba le 14 juin0. Cette visite, a fait savoir le ministère cubain des relations extérieures, « met en relief (une) collaboration bilatérale contribuant à la paix de la région ». A noter également le holà mis en 2023 par les autorités de l’ile à une tentative de recrutement de cubains par des officines russes. Côté Poutine, pas de réaction anti latino-américaine au vote par sept présidents d’une déclaration au côté des Occidentaux. A l’exception toutefois de l’Argentine, le président Milei, s’étant fait tirer les oreilles par le Kremlin, après avoir annoncé à l’issue d’un entretien bilatéral avec Volodimir Zelisnki, qu’il pourrait lui envoyer des chars.
RAS ? De grandes manoeuvres ont pourtant bel et bien commencé en Amérique latine. La nouvelle donne internationale, rebat les cartes. Des « coins » sont glissés quand l’occasion se présente par les « larrons », maitres d’un jeu, la Russie, les Occidentaux et plus discrètement la Chine. Milei a d’ores et déjà proposé d’organiser à Buenos Aires une conférence de la paix en Ukraine. Lula a parallèlement sorti une offre de bons offices présentée de conserve avec la Chine. La Russie multiplie les avances et les initiatives.
Militaires, on l’a vu à Cuba, signalant de la sorte ses capacités de projection aux portes des Etats-Unis. Mais aussi parlementaires avec la tenue à Moscou, il y a un an, du 29 septembre au 2 octobre 2023, d’une « Conférence parlementaire Russie-Amérique latine ». Rencontre suivie de gestes diplomatiques forts. Dimitri Lavrov, ministre des affaires étrangères, a invité le 12 mars dernier les ambassadeurs latino-américains en poste à Moscou. Il leur a dit que la Russie allait « continuer à dialoguer de façon bilatérale et multilatérale, et accroitre la coopération économique et commerciale comme les investissements (..) sur une base pragmatique et non idéologique ». Faute de surface économique adéquate la Russie a proposé de soutenir, de Rio où il assistait à une réunion des ministres des affaires étrangères du G20, présidé cette année par le Brésil, un élargissement du Conseil de sécurité à plusieurs pays d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie.
Il est encore trop tôt pour connaître le fin mot de l’histoire. D’autant plus que les Etats-Unis, accaparés par leurs élections présidentielles, suivent le déploiement russe, comme celui de la flottille ayant récemment jeté l’ancre à Cuba, « avec attention », mais distance. Les européens sont eux embarrassés par leurs difficultés intérieures. Seule l’Allemagne s’efforce de maintenir une présence, économique et commerciale, mais avec un chancelier très affaibli par le résultat des élections européennes. La Chine, loin des feux médiatiques, et de tout rendez-vous électoral, poursuit une pénétration désidéologisée comme celle de la Russie, mais avec une boite à biscuits bien mieux remplie.
Jean Jacques Kourliandsky