Avec 59 % des voix, soit le double de sa principale opposante, Claudia Sheinbaum deviendra le 1er octobre prochain la première Présidente du Mexique. Une victoire qui scelle le triomphe unanime du parti MORENA, le soutien d’une majorité des Mexicains à l’héritage politique du président sortant et la pulvérisation des partis historiques mexicains de l’opposition. La victoire également d’un profil scientifique et fédérateur surprenant à l’heure des fake news et de la polarisation extrême du corps électoral.
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À l’annonce des résultats provisoires, peu après minuit, Claudia Sheinbaum s’avance face aux caméras pour prononcer son discours de victoire. C’est un véritable raz-de-marée. Elle vient de récolter près de 60 % des voix, ce qui en fait la présidente mexicaine ayant obtenu le plus de voix dans l’histoire de la démocratie mexicaine. Elle devient aussi la première femme à accéder à ce poste. Son parti Morena obtient une majorité de sièges aussi bien à la Chambre des députés qu’au Sénat. Ce même parti remporte des postes clés partout au Mexique, notamment la gestion de la capitale, Mexico. L’opposition est pulvérisée : les trois partis traditionnels (PAN-PRI-PRD) qui s’étaient alliés dans une étrange coalition pour lui faire barrage, se retrouvent relégués à 32 points d’écart de Sheinbaum.
Ce triomphe et l’euphorie de la salle après ces résultats contrastent avec la tranquillité, l’impassibilité de la nouvelle présidente. Une personnalité réservée aux antipodes de celle de son prédécesseur au poste, Andrés Manuel López Obrador (AMLO), son mentor politique. Dans son discours de victoire, elle fait appel à l’union des Mexicains, au-delà des divisions partisanes. Elle rappelle qu’elle veillera à construire une nation juste et prospère pour « tous les Mexicains sans distinction ».
Une ascension politique de manual
Cette victoire est le point culminant d’une ascension politique extraordinaire. D’une femme qui aura gravi tous les échelons de la politique mexicaine pour atteindre le poste suprême. Une femme au destin lié à celui d’Andrés Manuel López Obrador qui l’intègre dans son gouvernement lorsqu’il devient maire de Mexico en 2000.
Claudia Sheinbaum a alors derrière elle une longue trajectoire militante dans le milieu universitaire. Impliquée dans les luttes universitaires lors de ses études, elle deviendra une scientifique respectée, spécialiste des sujets liés à l’énergie. C’est pour cela qu’elle est appelée à déjeuner avec le nouveau maire de Mexico, qui cherche un profil technique pour lutter contre la pollution qui ronge l’une des plus grandes mégalopoles d’Amérique latine. Un défi de taille où elle fera ses premières armes, en construisant le deuxième étage du périphérique, et des lignes de Metrobus, un réseau de bus en site propre qui va refaçonner la mobilité de la capitale, dans une ville construite sur un lac asséché où le développement du métro classique atteint ses limites.
Impressionné par sa gestion de la mobilité, elle devient une des plus grands alliés de López Obrador. Un duo complémentaire. Lui, pour l’idéologie, la militance, la stratégie politique et elle pour l’exécution avec un profil éminemment technique. Même lors des défaites, Claudia Sheinbaum reste à ses côtés. Pendant plusieurs années, elle reprend son poste de chercheuse à l’université. Dans les années 90, elle s’unit aux recherches des experts du GIEC sur le changement climatique avec qui, en 2007, elle remporte collectivement le prix Nobel de la Paix.
Mexico avant le Mexique
En 2015, elle brigue le mandat de Tlalpan, une des municipalités de Mexico, pour finalement se hisser en 2018 au rang de maire de la capitale. Un rôle de très grande visibilité où elle applique les préceptes de développement urbanistique et social de la Quatrième Transformation impulsée par López Obrador. Elle développe le système des « pilares » (piliers), des centres communautaires qui visent à réduire les inégalités sociales, culturelles et économiques dans chacune des municipalités de Mexico. Les principaux objectifs de ce système est d’instaurer une culture de la paix, de reconstruire le tissu social et d’éloigner de la violence les populations vulnérables et marginalisées par le biais de l’éducation, de l’art, du sport et de la formation professionnelle.
En matière de mobilité, elle inaugure le cablebus, le système de téléphérique le plus long du monde, qui sillonne les quartiers populaires de la capitale. Elle s’implique activement dans la lutte contre l’insécurité dans la capitale. À la fin de son mandat, elle peut se targuer d’avoir fait diminuer le taux d’homicide de 44 % pendant son mandat. Lors de l’explosion de la pandémie de COVID-19, alors que la capitale est paralysée et devient l’épicentre de la pandémie au Mexique, Claudia Sheinbaum reprend sa casquette de scientifique. Elle arrive à rassurer la population mais aussi à la convaincre d’adopter les gestes barrière. Elle prend alors ses distances avec la ligne du président plus laxiste, qui voulait éviter de freiner l’économie mexicaine. Tout au long de cette période, elle n’enlèvera jamais son masque et fera de la vaccination des chilangos (les habitants de Mexico) sa priorité. Malgré plusieurs scandales (comme l’effondrement d’un pont sur lequel passait le métro, causant la mort de 27 personnes et l’effondrement d’une école à Tlalpan lors du tremblement de terre de 2017), elle termina son mandat à la tête de la ville avec 60 % d’opinions favorables.
Un pays entier à ausculter
Après une élection interne au sein de Morena en 2023, elle est désignée candidate pour le parti afin de succéder à AMLO. Tout au long de la campagne, elle s’est montrée loyale à son prédécesseur en promettant de continuer ses politiques d’inclusion sociale et ses projets d’infrastructure. Néanmoins, elle se distingue de lui sur plusieurs sujets. Elle entend mettre la lutte contre la pauvreté au cœur de son mandat – bien sûr – mais également la lutte pour les droits des femmes, ce qui n’était pas vraiment un des axes forts d’AMLO. Un défi d’envergure dans un pays où tous les jours, 10 femmes sont assassinées. Pour assurer une gestion plus rapide de cette violence, elle promet l’ouverture d’un bureau du Procureur spécialisé en féminicides dans tous les États du Mexique.
Dans tous les pans de sa gestion, elle entend appliquer sa formation scientifique pour résoudre les problèmes. « Les scientifiques ont cette qualité d’être formés pour trouver les causes d’un problème, et pour trouver des solutions efficaces », affirmait-elle dans un entretien à France 24 en 2019. S’attaquer aux causes. C’est ainsi par exemple qu’elle promet de travailler sur le sujet de la migration, en multipliant les projets de coopération au développement avec les pays d’Amérique centrale. Un autre cheval de bataille sera la lutte contre le changement climatique. À la différence de son prédécesseur, très attaché à l’industrie pétrolière de sa région natale (Tabasco), Claudia Sheinbaum veut développer les énergies renouvelables et s’attaquer au problème de la gestion de l’eau. Un énorme défi aussi bien dans la capitale, en proie à de nombreuses coupures d’approvisionnement, que dans les régions industrielles du Nord où d’énormes ressources hydriques sont sollicitées par les multinationales.
On peut aussi espérer un retour du Mexique sur la scène internationale. Pendant 6 ans, López Obrador se refusait, dans un souci « d’austérité républicaine », à tout déplacement international. Claudia Sheinbaum a en la matière un profil beaucoup plus tourné vers l’international. Elle parle parfaitement anglais suite à ses nombreux séjours à l’étranger en tant que chercheuse et a assuré dans son discours de victoire vouloir maintenir des relations d’amitié avec les voisins américains, tout en poursuivant la tradition mexicaine de non-intervention. La nouvelle présidente devra s’atteler également au problème de la violence généralisée dans le pays. Une priorité que López Obrador n’aura pas su résoudre. Il quitte le pouvoir avec des chiffres désastreux en la matière, avec plus de 170.000 homicides en l’espace de 6 ans et 100.000 personnes disparues. La violence n’aura pas non plus épargné la campagne électorale au cours de laquelle une vingtaine d’hommes et femmes politiques ont été assassinés.
La “doctora” (la docteure), comme l’appellent les Mexicains, a donc du pain sur la planche. Elle hérite cependant d’un pays en bonne santé économique, où le taux de pauvreté a baissé et les investissements étrangers pullulent en raison du phénomène de nearshoring1. La nouvelle présidente devra trouver son équilibre. Elle devra veiller à préserver l’héritage laissé par AMLO (qui termine son mandat avec 60 % d’opinions favorables) tout en assurant une présidence différente. En votant pour Sheinbaum, les Mexicains ont choisi un profil plus technique, moins militant, moins clivant. Ils attendent la gestion d’une bonne administratrice publique. Qui assure, à l’image de son discours de victoire, la gestion fédératrice d’une force tranquille.
Romain DROOG
- transfert d’une activité commerciale dans un pays proche, de préférence à un pays plus éloigné. Dans ce cas-ci, relocalisation des activités américaines de la Chine vers le Mexique. ↩︎