Le Mexique « continue à faire l’histoire » après la victoire du Morena et de Claudia Sheinbaum

Dimanche 2 juin Claudia Sheinbaum,  candidate de l’alliance officialiste, « Continuons à faire l’histoire », composée du Morena, (Mouvement de Rénovation Nationale) du PT (Parti du Travail) et du PVEM, (Parti Vert et Ecologiste du Mexique), a tout raflé : présidentielle, législatives, ville de Mexico, et au delà l’État du Yucatan, et plusieurs municipalités.

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Tout cela bien sûr au vu de résultats provisoires qui seront affinés et validés mercredi 5 juin. Sous réserve donc d’une confirmation par l’INE, l’Institut Nationale Electoral, Claudia Sheinbaum l’a emporté sans discussion possible avec plus de 58 % des suffrages exprimés. Ses concurrents, Xóchtil Gálvez, -candidate de la coalition des oppositions de droite, PAN (Parti d’Action Nationale), PRI (Parti de la Révolution Institutionnelle), et PRD (Parti de la Révolution Démocratique)-, et Jorge Alvarez Máynez, (Mouvement Citoyen), ont respectivement obtenu 28,3 % et 10,5 % des suffrages. Le résultat est conforme à l’ordre d’arrivée pronostiqué par les sondages. En revanche l’écart de la candidate en tête, de 30 points, n’avait pas été anticipé par les  analystes.

Victoire « historique » d’une femme ont souligné à l’unisson les titrailles des quotidiens, des télévisions et radios, étrangers. C’est en effet la première fois de son histoire que le Mexique va être, pour six ans, dirigé par une femme. L’accession de Claudia Sheinbaum à la magistrature suprême est l’aboutissement d’une longue marche. Les femmes mexicaines, n’ont en effet obtenu le droit de vote aux municipales qu’en 1946.  Droit étendu à toutes les élections en 1953. Dés ce moment là une femme, est entrée pour la première fois au Congrès des députés, sous les couleurs du PRI, – à l’époque parti quasi unique -, Aurora Jiménez de Palacios. Ce n’est qu’en 1964 que le Sénat accueille ses deux premières représentantes, Maria Lavalle Urbina et Alicia Arellano, toutes deux affiliées également au PRI. Rosa Luz Alegría a été en 1976, la première femme membre d’un cabinet présidentiel, comme Secrétaire d’État au tourisme. Elle était elle aussi « priiste ». Le Code électoral de 1993, (Cofipe) dans la dernière étape de la longue période de gouvernants issu du PRI, recommandait la parité des candidatures. Celle-ci ne deviendra obligatoire qu’en 2014. Cette parité a été étendue aux trois pouvoirs, – Exécutif, Législatif et Judiciaire -, par la réforme constitutionnelle de 2019. 

Claudia Sheinbaum Pardo, a dédié sa victoire aux femmes mexicaines. « Je n’arrive pas seule » a-t-elle dit à ses partisans, rassemblés par dizaines de mille sur la grand Place de México, le Zócalo, «nous y sommes arrivées ensemble ». « C’est la première fois en 200 ans, que la République va être présidée par une femme ». « Les femmes », avait-elle annoncé le 5 mars, commémorant un peu en avance la journée des femmes, «vont transformer le Mexique, et jamais plus nous ne resterons la bouche fermée ».  Cette accession d’une femme à la présidence du Mexique est-elle aussi « historique » que l’affichent sur leurs manchettes les gazettes ? Elle l’est sans doute au Mexique, elle l’est aussi dans bien des régions du monde, aux États-Unis et en France par exemple, qui n’ont toujours pas élu de présidente. Elle l’est beaucoup moins en Amérique latine. Deux femmes conduisent actuellement les destinées de leurs pays, la hondurienne Xiomara Castro et la péruvienne Dina Boluarte. Plusieurs autres ont exercé, certaines il y a bien longtemps, cette haute responsabilité : María Estela Martinez de Perón en Argentine de 1974 à 1976 ; Lidia Gueiler Tejada en Bolivie de 1979 à 1980 ; Violeta Barrios de Chamorro au Nicaragua de 1990 à 1997 ; Rosalia Arteaga en Equateur en 1997 ; Mireya Moscoso au Panamá de 1999 à 2004 ; Michele Bachelet au Chili à deux reprises, de 2006 à 2010 et de 2014 à 2018 ; Cristina Fernandez de Kirchner en Argentine, elle aussi pour deux mandatures, de 2007 à 2012 et de 2012 à 2015 ; Laura Chinchilla au Costa-Rica de 2010 à 2014 ; Dilma Rousseff au Brésil de 2011 à 2014, et de 2015 à 2016 ; Jeanine Añez en Bolivie en 2019 et 2020. 

Claudia Sheinbaum prend un relai transmis par un ami et un complice politique, AMLO, Andrès Manuel Lopez Obrador. Un AMLO, qui fort des mesures sociales qu’il a fait  adopter, augmentation du salaire minimum, création d’une retraite universelle, termine son sexennat, avec 60 % d’opinions favorables. Et donc transmet une Maison Mexique, en bon état de marche. Pourquoi alors ce commentaire de Claudia Sheinbaum sur les femmes qui ne vont désormais plus se taire ? Ne s’est-il donc rien passé de ce côté là, entre 2018, première année de la mandature d’AMLO et 2024 ? Une certitude : Claudia Sheinbaum a mis en évidence,  que lui, AMLO, est un homme, et elle Claudia Sheinbaum, une femme. Cette différence indéniable lui donne une identité que politiquement elle a bien du mal à faire passer. La victoire écrasante, du 2 juin, est à bien des égards celle du bilan d’AMLO, du bilan de la 4T, la quatrième transformation. « Je peux » a déclaré AMLO, dans sa traditionnelle conférence de presse quotidienne, lundi matin, « prendre ma retraite politique, pleinement satisfait (..) quand je vais lui remettre l’écharpe présidentielle, je vais pouvoir dire, mission accomplie, et rentrer chez moi, et ne plus participer à aucune activité publique »

Cette déclaration est le révélateur de quelque chose en effet d’historique au Mexique. Pour la première fois en un siècle, un président considéré comme étant « à gauche », va passer le pouvoir à un successeur de la même couleur politique et partisane, le Morena. Claudia Sheinbaum, en effet depuis le premier café partagé avec AMLO, avant les municipales de 2000, dans un restaurant de la chaine Sanborns, jusqu’à sa désignation comme candidate présidentielle en 2023, au terme d’une procédure « par sondages », a grimpé en responsabilités, dans l’ombre du fondateur de Morena, inventeur de la « 4T », la quatrième transformation. Elle est du reste officiellement la Coordinatrice des Comités de défense de la 4T. Il lui faut désormais pratiquer un jeu de bascule difficile : rompre avec celui qui apparaît comme son mentor, affirmer une personnalité originale, tout en perpétuant une politique inventée par AMLO, plébiscitée par les électeurs. 

Elle est pour l’hebdomadaire Proceso, « la première présidente du Mexique, sans contre pouvoirs ». S’affirmer comme femme est sans doute la voie qu’elle va explorer, en s’appuyant sur cet acquis électoral. La probable majorité parlementaire des deux tiers obtenue par sa liste, « juntos seguimos haciendo historia », lui permet de modifier la Constitution. Elle a au cours de sa campagne, signalé qu’elle modifierait la Loi fondamentale pour consolider l’égalité entre hommes et femmes et combattre les violences dont meurent tant de femmes au Mexique. Ce qui lui permettrait, d’innover sur la voie tracée par, selon son propos, « le meilleur président de l’histoire du Mexique » (AMLO).