Du 2 au 4 mai 2024 a eu lieu la 31e Conférence mondiale de la presse au Centre culturel Gabriela Mistral (GAM), à Santiago du Chili avec pour thème : « Presse pour la planète : le journalisme face à la crise environnementale ». Deux représentants de notre publication étaient parmi les invités.
Photo : La Moneda
Vendredi 3 mai, environ 2 500 participants ont rempli la salle principale de la plus importante réunion de l’UNESCO sur la liberté de la presse. Les autorités ont ouvert la conférence sur un constat inquiétant. Le sujet qui les a occupés pendant trois jours dans la capitale chilienne valait la peine d’être débattu au regard de la situation actuelle : au total, 44 journalistes couvrant les questions environnementales ont été tués dans 15 pays entre 2009 et 2023. Quelques 24 autres ont survécu à des tentatives d’assassinat. Seuls 5 cas ont donné lieu à des arrestations. Cette violence à l’encontre des journalistes qui se consacrent à l’actualité environnementale s’est même intensifiée au cours de cette période : au moins 749 journalistes, groupes journalistiques et médias, dans 89 pays, ont été attaqués – agressions, passages à tabac, menaces, arrestations, persécutions et accusations de diffamation. Plus de 300 attaques ont eu lieu au cours des cinq dernières années, ce qui représente une augmentation de 42 % par rapport aux cinq années précédentes. Une enquête menée par l’UNESCO et la Fédération internationale des journalistes, ayant recueilli les réponses de 905 personnes réparties sur 129 pays, a, quant à elle, révélé que plus de 70 % d’entre elles ont été victimes de menaces, d’attaques et de pressions alors qu’elles enquêtaient sur des questions environnementales. Parmi ces personnes, 407 (45 %) ont déclaré s’être autocensurées par crainte d’être prises pour cible ou de mettre en danger leurs sources d’information.
Dans son discours inaugural, le président du Chili, Gabriel Boric, a souligné le rôle du journalisme dans toute démocratie et au regard de la protection des droits de l’homme, la nécessité de transparence des institutions et des autorités et l’importance de l’information des citoyens, gage de leur implication dans la vie de la société. La directrice générale de l’UNESCO, Audrey Azoulay, le secrétaire général de Nations unies, Antonio Guterres, en différé, l’ancienne présidente du Chili Michelle Bachelet et l’acteur et activiste mexicain Gael García Bernal ont ensuite chacun insisté sur les liens existants entre les droits de l’homme et la démocratie dans le combat contre la crise climatique. L’ouverture de la conférence s’est terminée par une émouvante interprétation par le chœur « Ciudadanos » de Los Pueblos Americanos de Violeta Parra et de La plegaria a un labrador de Victor Jara.
Une évidence : repenser la protection de la liberté de la presse…
Ce n’est pas la première fois que l’Unesco organisait une réunion mondiale sur les questions de liberté de la presse. Il y a 30 ans, en mai 1994, la Déclaration de Santiago était adoptée au Chili après un séminaire intitulé « Le développement des médias et de la démocratie en Amérique latine et dans les Caraïbes ». Cette fois-ci, l’Association mondiale des rédacteurs en chef de l’information (WAN-IFRA), l’Association interaméricaine de la presse (IAPA), l’Association nationale de la presse du Chili (ANP) et plusieurs autres organisations défendant la liberté de la presse ont signé une nouvelle déclaration intitulée « Déclaration de Santiago + 30 ». L’objectif est de réaffirmer « l’engagement en faveur d’une presse libre, d’un discours public dynamique et de l’épanouissement des sociétés démocratiques en Ibéro-Amérique et dans les Caraïbes ». Cette nouvelle charte a pour objet d’actualiser la défense de la liberté de la presse compte tenu du contexte auquel elle est confrontée. Comment, par exemple, contrer les récits négationnistes que mènent certains États ? Comment assurer la nécessaire pérennité du journalisme indépendant ? Comment garantir la libre circulation de l’information et l’accès à l’information publique ?
Ce nouvel accord demande, par ailleurs, aux organisations intergouvernementales de promouvoir des politiques publiques favorisant le développement d’une presse plurielle et indépendante, ainsi que la création de médias dans les zones rurales, de soutenir les médias publics et les campagnes d’alphabétisation numérique. Il appelle également les journalistes et les médias à résister à la censure, à l’autocensure et à toute influence indue, et plus particulièrement ces derniers à promouvoir les principes de qualité et de transparence, à créer des protocoles de sécurité pour leur personnel et à renforcer leurs politiques d’inclusion en matière de genre, de race et de diversité. Nouveauté par rapport à l’accord de 1994, les entreprises technologiques sont fortement incitées, entre autres choses, à rendre transparentes leurs politiques de modération de contenu, à lutter contre la désinformation et à respecter les lois sur les droits d’auteur et de propriété intellectuelle.
Les enjeux à considérer étant complexes et multiples, diverses tables rondes réunissant des représentants d’organismes internationaux, publics, privés et ONG de multiples nationalités ont été organisées. À l’issue de leurs travaux, les intervenants se sont accordés sur l’urgence qu’il y avait, en particulier, à :
- protéger la liberté artistique et de la créativité dans un contexte de crise environnementale et d’intelligence artificielle ;
- Impliquer le système judiciaire pour garantir la sécurité des voix critiques ;
- enquêter sur les crimes environnementaux ;
- lutter contre le recours croissant aux poursuites-bâillons qui cherchent à faire taire les journalistes ;
- façonner une vision positive et inclusive de l’écosystème de l’information en ligne ;
- renforcer le rôle des créateurs de contenu numérique et des plateformes qui luttent contre la crise climatique ;
- construire des stratégies contre le sexisme dans les médias ;
- faire entendre la voix des femmes et des enfants autochtones, ruraux, paysans face à la violence dans des contextes de défense environnementale ;
- respecter la parole des personnes LGBTIQA+
… dans un contexte politique et technique mouvant
Le samedi 4 mai, à la Faculté de communications de l’Université Catholique du Chili (UC) et au siège de l’Université du Chili (UCh), se sont tenues des conférences académiques sur le thème « sauvegarder la liberté de presse et de la sécurité journalistique : perspectives pour le monde journalistique. »1 Les présentations se sont centrées sur le cadre actuel dans lequel la pratique journalistique se débat, en particulier : les perturbations provoquées par l’utilisation (et la mauvaise utilisation) de l’intelligence artificielle et de l’information sélective ; les menaces, censure et espionnage, notamment, dont les journalistes obligés de travailler dans des environnements hostiles sont victimes ; la violence physique et numérique contre les femmes et les journalistes issus de minorités ; les conséquences d’événements traumatisants dans la pratique du journalisme dans les zones de guerre ou de terrorisme, au Mexique, à Gaza ou en Ukraine, comme la couverture des mauvais traitements infligés aux migrants en Amérique Centrale et en Afrique de l’Ouest, et les dangers des reportages sur la criminalité urbaine en Asie du Sud et l’Amérique du Sud.
À ce titre, on relèvera l’exposé par Sebastián Valenzuela, de l’UC, sur la manière opaque dont fonctionnent les algorithmes sur les réseaux sociaux. À retenir également les interventions de Claudia Lagos, de l’UCh, sur les pressions idéologiques de la part et vers les médias, comme ce qu’on appelle « mensonges d’El Mercurio … », et de Daniela Lazcano, de l’Université Catholique de Valparaíso, qui a présenté des « notes pour regagner la confiance du public ». À la clôture du congrès, l’espoir a été exprimé qu’au cours des 30 prochaines années, la liberté de la presse soit protégée et renforcée afin que les journalistes et les médias puissent diffuser l’information nécessaire pour résoudre efficacement la crise environnementale que traverse la planète.
Vidéo avec les discours d’ouverture de la conférence : https://www.youtube.com/watch?v=fM4OYELAnZU
Les auteurs tiennent à remercier Sylvie Lagabrielle pour l’aide apportée à ce texte.
Diego PÉREZ DE ARCE
et Cristobal EDWARDS,
Université Catholique du Chili