« La solitude lumineuse », un morceau choisi des mémoires de Pablo Neruda aux éditions Gallimard

Dans La solitude lumineuse, les éditions Gallimard publient en version bilingue un morceau choisi des mémoires du très célèbre poète Pablo Neruda. Alors âgé d’une vingtaine d’années, le futur prix Nobel de littérature y raconte ses nombreux souvenirs comme consul du Chili à Rangoon, à Ceylan, puis à Batavia. Plus qu’une simple chronique de voyages, ces pages sont un véritable témoignage de l’éveil politique et des premières ardeurs poétiques du poète engagé que Pablo Neruda sera ensuite tout au long de sa vie.

Photo : Ed. Gallimard

Pablo Neruda, de son vrai nom Ricardo Neftatlí Reyes Basoalto, est né en 1904, à Parral, au Chili. À partir de 1925, très jeune, il est nommé consul et voyage à travers l’Asie (Birmanie, Inde, Sri Lanka et Indonésie). Puis, dès 1936, il s’engage intellectuellement auprès de l’Espagne républicaine, avant de rejoindre le Parti communiste chilien dans les années 1940. Il meurt en 1973, peu de temps après le coup d’État d’Augusto Pinochet et la mort de Salvador Allende. Diplomate et homme politiquement engagé, Pablo Neruda est surtout le chantre du XXe siècle latino-américain. Prix Nobel de littérature en 1971, ce géant de la littérature est connu pour ses nombreux recueils de poésie. La postérité retient surtout Veinte poemas de amor y una canción desesperada (1924), Residencia en la tierra (1933), España en el corazón (1937) et le Canto general (1950).

La solitude lumineuse se compose du quatrième chapitre de Confieso que he vivido (J’avoue que j’ai vécu), l’autobiographie de Pablo Neruda, publiée seulement quelques mois après sa mort, en 1974. Il se concentre essentiellement sur les années pendant lesquelles le poète chilien a voyagé et vécu en Asie. À partir de 1925, à peine âgé d’une vingtaine d’années, le jeune diplomate fut successivement nommé consul du Chili à Rangoon en Birmanie, à Colombo sur l’île de Ceylan (aujourd’hui le Sri Lanka), à Singapour, puis à Batavia, dans les Indes orientales néerlandaises (région correspondant actuellement à la ville de Jakarta en Indonésie). Chronique de voyages de mondes autrefois inconnus, La solitude lumineuse décrit les différents paysages, les atmosphères exotiques que le jeune consul Neruda traverse pour quelques semaines ou quelques mois. Le poète chilien sait alors se faire conteur pour que le lecteur puisse saisir les couleurs et les odeurs, l’animation des rues et des marchés asiatiques, accompagner ses rencontres occasionnelles, assister aux rites religieux des populations locales qu’il côtoie, nombreux épisodes de sa vie suspendue.

Les mémoires de La solitude lumineuse ne sont cependant pas de simples souvenirs de jeunesse. Littérature réelle de la vraie vie, témoignages de ses premiers engagements, ils sont l’affirmation de l’émergence de la conscience politique de Pablo Neruda, prémisses de ses prises de position aux côtés des républicains espagnols ou de son adhésion au Parti communiste. Ses fonctions diplomatiques sont plus honorifiques que lucratives et le jeune consul mène une vie où la pauvreté et les privations lui sont familières. Solitaire, il vit en marge de la grande société et partage le quotidien des populations locales. Ses récits et ses descriptions deviennent de fait de véritables critiques de l’impérialisme européen, une chronique acerbe d’un système parfois déjà agonisant au climat politique agité et infesté de toutes les hypocrisies coloniales.

Porteur d’une vision humaniste, son regard sur ces sociétés parfois millénaires est aussi l’occasion d’une méditation sur le passage du temps et des civilisations. Séparé de son monde, esseulé à des milliers de kilomètres du Chili, solitaire mais guidé par ses lectures et son amour irréfrénable des mots, ses impressions métaphysiques sont de suite poétiques. La poésie est sa porte d’entrée aux mondes étranges et étrangers qui l’entourent. Le jeune poète commence à percevoir le magnétisme vital de la nature et les relations cachées des êtres inertes ou vivants que ses phrases animent. La solitude lumineuse est un écho de sa poésie et le lecteur peut alors cerner ou discerner le passage de certains éléments biographiques vers des dimensions plus poétiques. Tel est le cas des amours et de la jalousie de la dangereuse et extravagante Josie Bliss, qui se nappent d’une mélancolie frénétique dans l’évocation du poème « Tango del viudo/Tango du veuf » du recueil Residencia en la tierra/Résidence sur la terre (1933). De même, l’expérience presque mystique émanant des statues gisantes de Bouddha, images et symboles au milieu des jungles asiatiques, préfigurent les vers du poème « Alturas de Machu Picchu/Hauteurs de Machu Picchu », pièce maîtresse du Canto general/Chant général (1950) et sommet de l’art poétique de celui qui deviendra le véritable vates du continent américain. 

La solitude lumineuse est un très beau morceau choisi des mémoires de Pablo Neruda. Dans cet ouvrage, le vieux poète livre l’intimité de ses solitudes de jeunesse et les rayons de lumière de ses années d’apprentissage. Il réécrit sa propre vie et revit ses expériences, retrouve ses sentiments les plus lointains, jalonnés par ses amours et ses haines d’autrefois. Dans une prose souvent poétique mais toujours accessible, avec la richesse d’une édition bilingue, La solitude lumineuse nous permet de découvrir les premières indignations politiques et les premiers élans poétiques d’un Pablo Neruda que peu de ses lecteurs connaissent. Publié le 23 mai 2024 dans la collection Folio bilingue, La solitude lumineuse de Pablo Neruda est disponible en librairie aux éditions Gallimard.