Rétrospective sur le 77ᵉ festival de Cannes. Nous y étions les douze jours…

Après des débuts mouvementés entre manifestations contre la violence sexuelle et demande de retrait du directeur du Centre du Cinéma, et la remise de deux Palmes d’Or d’honneur à Meryl Streep et George Lucas, le festival de Cannes s’est clôturé dans la soirée du dimanche 26 mai. Au bout de 12 jours de festival, le jury a rendu son verdict et a départagé les 22 films en compétition. Retour sur les films marquants de cette douzaine cannoise. 

Photo : Festival de Cannes

C‘est finalement Sean Baker qui remporte la Palme d’Or, récompense suprême, pour son dément Anora. Un film exaltant, sans doute son meilleur, sur une travailleuse du sexe à New-York qui croise la route du fils tout fou d’un milliardaire russe. Le Prix de l’Oeil d’Or du meilleur documentaire revient à Ernest Cole pour Lost and Found : un film réalisé par le haïtien Raoul Peck qui retrace le parcours d’un jeune photographe sud-africain du temps de l’apartheid. Contraint à s’exiler aux États-Unis et en Europe, sans qu’il ne puisse jamais retourner dans son pays natal, le cinéaste raconte les errances de cet artiste fragile et révolté, la solitude et le désespoir qui le consument lentement au point de lui faire abandonner peu à peu la photographie.

Condamné à huit ans de prison au début du mois pour « collusion contre la sécurité nationale » et ayant discrètement fuit son pays pour venir à Cannes, Mohammad Rasoulof a offert à la compétition Les graines du figuier sauvage : un grand film dont on comprend parfaitement pourquoi les autorités iraniennes ont voulu à tout prix en empêcher la circulation internationale. Présenté le dernier jour, il obtient le prix spécial du Jury. Le film raconte comment un juge d’instruction voit sa vie familiale bousculée en même temps que se développe en Iran le mouvement « femme, vie, liberté ».

Le nouveau film de Miguel Gomes, Grand Tour, est sans doute un des titres les plus ambitieux présentés cette année en compétition. L’histoire que raconte ici le cinéaste portugais se passe en 1917 et s’articule autour du périple d’Edward, un fonctionnaire de l’Empire britannique initialement basé à Rangoun, en Birmanie, qui fuit sa fiancée, le jour même où elle arrive pour leur mariage. Le film en un noir et blanc expressionniste est tourné en studio, entrecoupé d’images filmées par le réalisateur au cours de ses voyages. Il a obtenu le prix de la mise en scène.

Volveréis (Septembre sans attendre en français) de l’Espagnol Jonas Trueba a remporté le Label Europa Cinemas (décerné par un jury d’exploitants au meilleur film européen de la section parallèle). Il s’agit pour un couple d’organiser la plus grande fête de divorce ! De son côté, le brésilien Karim Ainouz a déçu avec son dernier film très moite et sexuel, Hotel Destino, après le merveilleux La vie invisible d’Euridice Gusmao qu’il avait réalisé en 2019. All we imagine as light de Payal Kapadia est le premier film indien en compétition depuis trente ans. L’œuvre suit deux infirmières colocataires dans leurs vies quotidienne et intérieure. Une fiction à la fois âpre et sensible autour d’héroïnes contrastées, couronnée du Grand Prix.

Je n’ai pas vu la Caméra d’Or attribuée au premier film Armand du norvégien Halfdan Ullmann Tøndel, petit-fils de Liv Ulman et d’Ingmar Bergman Ilsuit Elisabeth. Les parents d’Armand sont en route vers une rencontre impromptue parents-profs. Leur fils est accusé de quelque chose de grave, mais ils ne savent pas de quoi il s’agit. Une chose est sûre : tout le monde est très, très mal à l’aise. Signalons aussi le film sur les débuts déjà mafieux de Donald Trump, accompagné de son avocat on ne peut plus véreux : The Apprentice, réalisé par l’iranien vivant en Suède Ali Abassi.

Le cinéma latino n’était guère en forme cette année à l’exception de Simón de la montaña de l’Argentin Federico Luis, un merveilleux film sur les personnes handicapées dont nous avons parlé la semaine dernière et qui a obtenu le prix de la Semaine de la critique. Los hiperbóreos de Cristobal León et Joachim Cocina est un court film en marionnettes de papier découpé sur l’histoire du Chili. Quant à Something old, something new, something borrowed, film argentin de Hernán Rosselli, je suis passé complètement à côté.

À l’ACID, le film colombien Mi Bestia de Camila Beltrán développe le monde des superstitions. En 1996, au moment d’une éclipse totale de lune, Mila, une jeune fille de 13 ans, mène une vie scolaire et personnelle difficile, oscillant entre une éducation catholique stricte – avec des religieuses avertissant de l’arrivée du diable pendant l’éclipse lunaire – et un environnement familial complexe. Alors que sa mère travaille de nuit, elle envoie son petit ami étrangement vigilant surveiller chaque mouvement de l’adolescente en répétant que Bogotá n’est pas sûre pour les jeunes filles issues de familles à faibles revenus. Le point culminant de la vie de l’adolescente se déroule le jour fatidique de l’éclipse.

Reste maintenant à présenter le film étonnant de Jacques Audiard : Emilia Pérez, une comédie musicale sur un narcotrafiquant mexicain qui fait sa transition pour devenir la femme qu’il veut devenir. Le film est interprété en espagnol par des actrices hollywoodiennes et une star de la pop, sur des chansons de Camille. Selena Gomez, Karla Sofía Gascón et Zoë Saldaña ont été récompensées du prix de l’interprétation féminine en compagnie d’Adriana Paz, pendant que Jacques Audiard a reçu le prix du Jury. On a beaucoup parlé de l’espagnole Karla Sofía Gascón, première actrice trans primée à Cannes qui joue le rôle du trafiquant, avant et après sa transformation. Au début du film, Rita, avocate, écrit la plaidoirie de son patron afin d’obtenir l’acquittement d’un homme accusé de féminicide. La scène se déroule au croisement d’un supermarché et d’une rue et nous nous rendons compte que cela a été tourné en studio, en France. La bande musicale créée par Clément Durcol et Camille est très riche. Emilia ne voudra rien lâcher, tout en chansons et en danse. Ce n’est pas un film mexicain réaliste mais une œuvre pleine d’émotions (dont la sortie est prévue le 28 août prochain), qui laissait le temps maussade à l’entrée de la salle.