Entre exil et deuil, Brenda Navarro conte le déchirement et la rudesse d’une jeune femme qui cherche un équilibre introuvable, un asile inexistant. Bloquée entre deux pays, rabaissée socialement, la narratrice est en prise avec un voyage inachevé et sans doute inachevable.
Photo : DR
Diego et sa sœur quittent le Mexique un beau jour, pour rejoindre leur mère en Espagne. Ils laissent derrière eux les cousins, la famille, les ami-es, les grands-parents, les habitudes, la violence. Quelques années plus tard, Diego se suicide, et sa sœur ramène ses cendres au Mexique, retrouvant pour la première fois depuis son départ sa famille et sa terre.
La terre promise, loin d’apporter l’apaisement et les rêves d’un avenir meilleur, montrera surtout un autre visage de la violence. Une violence sociale, sociétale, classiste, raciste, individualiste. Moins mortelle que les fusillades des cartels mexicains, mais malgré tout mortifère. Leur mère travaille comme une acharnée pour gagner de quoi les faire vivre, elle affronte chaque jour les insultes et les clichés accolés à tout latino, quel que soit son pays d’origine. La narratrice quittera Madrid pour Barcelone en espérant y gagner sa vie et plus de liberté. Elle y trouvera une communauté de « sœurs » qui lui apprendront certains codes et manières de s’en sortir, la mettront face à ses propres hontes et ses contradictions, et toujours, la violence quotidienne d’être l’étrangère, l’immigrée. Quand on est une panchita, bien souvent on fait des ménages. Et quand on a du mal à trouver on devient même interne, à s’occuper à domicile d’une personne, bien souvent âgée et/ou handicapée, que sa famille ne veut pas avoir en charge. L’employée de maison devient alors autant la sauveuse que le miroir de l’absence, du rejet des enfants devant leur parent vieillissant, parent qui bien souvent regarde avec crainte et dégoût l’indienne qui les torche et les nourrit.
Brenda Navarro raconte l’exil, un exil attendu qui symbolisait des retrouvailles et qui se transforme en chemin de croix. Le rabaissement, l’humiliation, l’inconsidération. Et la perte, terrible et insurmontable, incompréhensible. Pourquoi Diego a-t-il sauté ? En ramenant ses cendres au Mexique et y retrouvant ses grands-parents, notre narratrice va confronter ses souvenirs d’enfance, tendres dans un pays violent, rythmés par l’attente du retour de la mère déjà partie en Europe, à cette nouvelle vie que là-bas tout le monde idéalise. Chacun portant sa vérité et ses difficultés, elle ne parvient pas à faire entendre sa vie, comme peut-être Diego n’aura pas réussi à communiquer sa souffrance, tout comme elle n’aura pas forcément assumé son échec, ses difficultés, face à sa famille, ses connaissances, ses amants. L’exil est une rupture continue qui s’étend dans le temps alors même que l’avenir reste flou, ses échos multiples et imprévisibles guettent à tout moment. Des cendres dans la bouche réussit à nous confronter à cette expérience de l’exil, de la migration et son versant le plus insaisissable : son incommunicabilité. Entre l’éloignement et la (dés)intégration, l’imaginaire de chacun des versants de son chemin devient prédominant et l’empêche de conter sa véritable histoire. Notre narratrice ici se tait souvent, le silence étant parfois plus simple que de longues explications inaudibles par l’autre, enfermé dans ses propres images de l’histoire racontée.
Dans une langue orale dont la traductrice nous a gardé les « mexicanismes » pour que nous comprenions bien l’autre fossé, l’autre marqueur immédiat, le langage et ses mots, ses tournures et ses réutilisations, Brenda Navarro évite les lieux communs sur un sujet complexe et propose un roman subtil, qui dessine avec autant de violence que de doutes les cheminements de cette jeune femme qui tente de trouver sa place entre le pays quitté qui fantasme désormais sa vie et un autre qui ne semble pouvoir l’accepter que dans un rôle prédéterminé. Une voix forte à suivre avec attention. Son premier roman, Maison vide, est disponible également chez Mémoire d’Encrier.
Marceline PERRARD
Des cendres dans la bouche, de Brenda Navarro traduit de l’espagnol (Mexique) par Sarah Mustad ; Mémoire d’encrier, 241 pages.