Bernardo Caal Xol est un leader du peuple maya Q’eqchi au Guatemala, défenseur des droits de l’homme et surtout de l’environnement. Il a été emprisonné entre 2018 et 2022 pour s’être opposé à des projets de constructions de centrales hydroélectriques par des multinationales le long du fleuve Cahabón dans sa région de Alta Verapaz. Il a été libéré grâce à une campagne lancée par Amnesty International, après l’avoir choisi comme prisonnier d’opinion. Nous l’avons rencontré à Paris lors d’une tournée qu’il fait en Europe depuis février.
Photo : Vie Catholique
Quels ont été vos objectifs lors de ce voyage en Europe ? Vous avez en particulier rencontré des représentants à Genève du Conseil des Droits de l’homme avec d’autres défenseurs guatémaltèques ?
Il y a eu plusieurs objectifs : faire connaître la situation au Guatemala, que l’on vit nous les peuples indiens, le fait d’être marginalisés, la discrimination et le racisme qui existe de la part du système, des structures gouvernementales au Guatemala. On est allé à Genève pour dénoncer l’atteinte aux droits de l’homme au Guatemala contre les peuples autochtones car on n’informe pas suffisamment sur les conséquences qu’ont les entreprises extractives sur ces communautés. Qu’on arrête aussi de criminaliser les défenseurs des droits de l’homme. On a proposé aux représentants qu’ils viennent au Guatemala, pour qu’ils enquêtent officiellement sur ce qui se passe et en faire un rapport devant les Nations unies. Il y a actuellement plusieurs leaders indiens en prison parce qu’ils ont lutté contre ces entreprises et le saccage du territoire. Il faut qu’il y ait une plainte officielle, internationale contre ces emprisonnements. Au Guatemala on a recensé 2 270 attaques contre des personnes défendant les droits fondamentaux en 2022.
D’autre part, comme plusieurs organisations m’ont soutenu lors de l’emprisonnement injuste que j’ai subi de la part d’entreprises extractivistes et du système de justice dans mon pays, je suis venu rencontrer ces organisations, mais aussi des établissements scolaires, des universités. Amnesty avait réuni de nombreux courriers en ma faveur. Je suis donc allé les voir pour leur montrer que maintenant je suis libre et les remercier pour toutes ces lettres envoyées. Et aussi pour exiger la justice face à toutes les injustices qu’il y a dans mon pays. J’ai eu des rendez- vous au niveau diplomatique pour faire connaître la criminalisation que nous avons subie, nous les défenseurs des droits de l’homme, en particulier au Guatemala où le risque est très élevé si l’on veut défendre les droits de tous. On parle de « criminalisation » parce que dans mon cas, sans avoir commis aucun délit , la police m’a arrêté par décision de justice et on m’a mis en prison au milieu de criminels, pendant plus de 4 ans. Voilà ce que fait la justice de mon pays qui en plus saccage nos territoires où vivent les communautés autochtones.
Pouvez-vous nous préciser justement ce qui s’est passé au Guatemala sur les territoires des communautés autochtones ?
Nous, les peuples indiens, nous protégeons les biens de la vie, les ressources naturelles, les forêts, les fleuves, les montagnes et lacs, les sources d’eau. Parce que depuis l’enfance on nous explique que l’homme et la femme maya ne peuvent pas vivre sans le maïs, et tout vient de la terre, la tomate, l’oignon, la betterave, etc… tout ce que consomme en particulier l’être humain. Pour ceux qui vivent à la campagne, c’est la terre qui nourrit les peuples autochtones. C’est pour cela qu’on l’appelle « la terre mère ». Si elle nous donne tous ces aliments, pourquoi la détruire ? Mais d’autres la voient comme une marchandise, s’attaquent à tous ces biens, ces ressources naturelles. Ils disent qu’elles sont épuisables, inépuisables ou ils trouvent d’autres terres pour continuer à faire du profit sur tous ces biens que nous avons protégés. Au Guatemala, nous avons nos fleuves. Nous les avons utilisés pour nager, pêcher, laver le linge. Et mes ancêtres les ont utilisés comme moyen de transport pour communiquer entre les différentes communautés. Par exemple, il y a des lieux où ont vécu mes ancêtres mayas à Tikal, Palenque, Uaxactum… Au milieu de ces cités, il y a des fleuves comme le Sumasinta, le Cahabón, l’Oxec. Ils ont protégé tous ces fleuves. Par exemple, le fleuve Motagua qui fait 486 km traverse plusieurs villes mayas, et il arrive jusqu’au Honduras où il y a une cité maya Copán. Des gens ont cherché à faire de l’argent avec ces fleuves, avec l’eau. Ils ont construit des centrales hydroélectriques sans demander l’avis des populations et l’électricité produite ne va même pas aux communautés mayas.
Quelle est la situation à l’heure actuelle dans votre région de l’Alta Verapaz le long du fleuve Cahabón après la construction de ces mégaprojets d’abord depuis 2015 par la compagnie Oxec, ensuite la centrale Renace, réalisée par le groupe Cobra ACS Internacional de l’entrepreneur Florentino Pérez (par ailleurs patron du Real Madrid ) ?
Le fleuve fait 195 km et 50 km de ce fleuve ont été déviés par des canaux, ils ont mis des tunnels, c’est la spécialité de la société Cobra. Grâce à la nature, le fleuve s’alimente d’autres affluents mais il est de nouveau coupé par d’autres entreprises, et là où il débouche sur le lac d’Izabal, il y a les mines de nickel dirigées par des entreprises russes et suisses. Et là-bas, tout est contaminé. Les familles qui vivent le long de ces 50 km du fleuve asséché n’ont plus accès au fleuve, n’y ont donc plus accès pour la pêche, etc. Ce n’est pas scientifique, c’est culturel parce que là où passe une rivière il y a toujours de bonnes cultures parce que l’eau apporte de la fraîcheur à tout ce qui peut être cultivé. Mais maintenant on ne peut plus rien cultiver.
Comment vivent alors ces communautés ?
Il y a beaucoup de pauvreté, de malnutrition car toute l’alimentation dépend de la terre mère. La plupart sont en train d’émigrer, sont des populations déplacées à l’intérieur du pays, mais surtout vers les États-Unis. Le pire est que parmi ceux qui migrent vers les États-Unis, beaucoup meurent en route. Ces entreprises veulent donner l’image du développement. On voit des câbles qui passent au-dessus de nous mais on ne sait pas où ils vont. D’autre part en Europe on parle d’énergie propre, renouvelable alors qu’en réalité ici ils sont en train d’exterminer nos peuples autochtones. Il y a beaucoup de problèmes avec l’eau, beaucoup de sécheresse actuellement dans toutes ces communautés de la région de Alta Verapaz où se trouve le peuple maya Q’eqchi. C’est un problème culturel, car couper la vie du fleuve c’est comme si une personne se coupait les veines. Cela va affecter tout un organisme et le pire c’est que là où il y a le canal, il y a des hommes armés qui surveillent. Non seulement ils nous ont volé notre fleuve mais en plus ils surveillent armés de fusils. Il n’y a donc plus d’accès à l’eau.
À quoi servent donc ces centrales hydroélectriques ?
Surtout à enrichir ces multinationales car très peu de familles profitent de cela. Quand ils sont arrivés, ils ont dit qu’ils allaient donner du travail à tous. Mais il y a seulement des ingénieurs, des architectes. Ils ont terminé de construire et ils sont repartis. Ces communautés ont vu seulement de loin ce qui se passait. Alors nous avons manifesté comme peuple maya Q’eqchi, en demandant des recours légaux, pour trouver de l’aide, pour essayer de sauver notre fleuve. Mais ce qui est arrivé c’est que j’ai été emprisonné pendant plus de quatre ans alors qu’ils construisaient encore une autre centrale. Maintenant il y a six centrales hydroélectriques, quatre qui s’appellent Renace I, II, III et IV et 2 Oxec.
Quels autres problèmes connaît le Guatemala en ce qui concerne l’environnement ?
Je vais surtout retourner dans mon territoire maya Q’eqchi. Ce peuple est en état de siège, attaqué presque tous les jours par les industries extractives. Ils nous dépossèdent aussi de nos terres et font partir des familles entières. Après le problème hydroélectrique, il y a celui de la palme africaine. Il y a des hectares de palme africaine et là aussi cela a des conséquences pour l’eau car cette plante consomme d’énormes quantités d’eau et de très grandes superficies sont affectées par cette culture. Cela va créer de la sécheresse, ou il va y avoir beaucoup d’eau, des inondations dans les endroits où il n’y a pas de cette plante. Les cultures vont pourrir et c’est pire avec la sécheresse. Je ne sais pas ce qui est mieux ou pire avec tous ces dommages environnementaux. On peut dire que c’est un véritable écocide pour l’environnement. Cela fait à peu près huit ans que cela a commencé. Toute la communauté est affectée. Il n’y a plus d’eau. Tout est absorbé. Le pire c’est qu’ils expulsent les gens et nous dépossèdent de la terre là où on cultive le maïs, notre plante sacrée. Que pouvons-nous faire ? La vie, l’existence du peuple maya Q’eqchi et de tous les peuples mayas au Guatemala est vraiment en danger. Il y a aussi le problème des entreprises minières dans le pays, par exemple dans la partie sud, sur la côte. Cela affecte la culture de la canne à sucre. Là-bas aussi, ils dévient les fleuves, ils privent d’eau les communautés. Le problème central c’est l’eau. Ils ont besoin en effet de beaucoup d’eau pour faire fonctionner une mine. Ils polluent les rivières. Ils utilisent du cyanure et quand il pleut cela s’infiltre partout, dans les fleuves, les lacs… Tout est contaminé. Dans notre culture, le fleuve a une vie, les fleuves parlent, chantent, pleurent. C’est un être vivant alors nous, nous allons manifester pour protester, et nous continuons à le faire. Ce que nous voulons, c’est qu’ils arrêtent, qu’ils laissent le fleuve. Cela ne se négocie pas. On ne négocie pas la vie ! Ils nous enlèvent la vie, qu’ils nous redonnent la vie ! Que le fleuve retrouve son cours, on ne demande pas grand chose…
Quels espoirs avez-vous malgré tout avec le nouveau président Bernardo Arévalo, social-démocrate, élu depuis peu malgré un contexte politique assez difficile au Guatemala ?
Tous nos problèmes ne dépendent pas du pouvoir exécutif mais de l’ordre judiciaire, pour redonner le fleuve au peuple maya Q’eqchi. Mais le système judiciaire au Guatemala est contrôlé par des gens corrompus. Quand Bernardo Arévalo a gagné l’élection présidentielle en août 2023 avec Karine Herrera comme vice-présidente, ils ont déclenché des procédures judiciaires contre eux. Ils fabriquent de faux délits comme ils l’ont fait pour moi. (NDR : il s’agit en particulier de l’intervention de la procureure générale Consuelo Porras pour persécuter le président et son mouvement politique Semilla). Tout le système de la justice est aux mains de la corruption. Le système législatif est contrôlé par les mafias. Arévalo a été une surprise pour eux ! Il promet de lutter contre la corruption. On a l’espoir qu’il puisse faire quelque chose. Mais on ne sait pas quand t il pourra y arriver… Son père fut un très bon président (NDR Juan José Arévalo Bermejo a été président de 1945 à 1951), honnête. On espère qu’il va maintenir le défi qu’il a eu de ne pas salir l’image de son père, mais ce n’est pas sûr du tout…
Pour terminer, quelle a été votre plus grande satisfaction dans toutes ces rencontres à travers l’Europe ?
Moi je suis aussi un enseignant et donc cela a été très intéressant d’être en contact avec des étudiants d’université dans plusieurs pays d’Europe pour leur expliquer ce qui se passe au Guatemala., pour leur montrer que nous les Mayas, on continue d’exister, les 23 peuples mayas du Guatemala. On nous aurait déjà complètement exterminés si on n’avait pas lutté. C’était important de leur dire à tous en Europe : on n’a pas disparu ! On est toujours en résistance !
Propos recueillis par
Chantal GUILLET