Nouveau coup de théâtre au Guatemala ! Pour vice de procédure, la Cour Constitutionnelle, par trois voix contre deux, a annulé le 21 mai la condamnation à 80 années de prison du général Manuel Ríos Montt décrétée par un tribunal dix jours auparavant. Elle ordonne qu’une Cour d’appel résolve d’abord un recours de récusation contre deux des trois juges du tribunal, déposé par les avocats de la défense du dictateur, puis que le tribunal reprenne la procédure à partir de la situation telle qu’elle se présentait le 19 avril, date du dépôt du recours. Les témoignages des Maya Ixils, les exposés des experts et les plaidoiries sont tous annulés et doivent se refaire. Exécuter ces ordres sera extrêmement complexe. Les victimes dénoncent des manœuvres destinées à garantir l’impunité du dictateur.
Un recours à la limite de la légalité
Le 19 avril, Francisco García Gudiel, avocat de Rios Montt, avait déposé un recours de récusation contre deux des trois juges du tribunal, l’un contre Jazmín Barríos, présidente du tribunal, « pour inimitié », l’autre contre Pablo Xitumul, au contraire « pour amitié entre les deux hommes ». Selon les avocats des victimes, ce recours serait illégal car l’article 201 de la Loi de l’Organisme judiciaire guatémaltèque stipule que « il est interdit qu’accepte de plaider, tout avocat dont la présence obligerait un juge à se désister de la procédure ». Or Gudiel avait dès le début été informé du nom des trois juges. Il n’aurait donc pas dû accepter de plaider. Accepter de plaider signifiait qu’il acceptait la présence de ces juges. Déposer un recours contre deux d’entre eux bien après le début des sessions serait donc illégal. La Cour d’appel devra trancher.
Composition problématique des Cours
Deux problèmes majeurs se présentent à la Cour suprême chargée de constituer les instances devant traiter la situation créée par la Cour constitutionnelle. Premier problème : constituer une Cour d’appel de trois juges devant résoudre le recours de récusation des juges Barrios et Xitumul. En effet, les trois magistrats titulaires se sont déclarés « indisponibles » pour traiter le dossier. Après de nombreux autres désistements, la Cour suprême a enfin trouvé un magistrat disposé à siéger mais celui-ci n’est arrivé à convaincre deux autres juges qu’après en avoir contacté 55 ! Les avocats des victimes dénoncent des « pressions indues » contre les juges et les témoins, provenant d’organisations d’anciens militaires et du CACIF (le patronat local) qui placent des encarts ouvertement menaçants dans les journaux.
Deuxième problème : une fois le recours de récusation réglé, le dossier doit retourner au tribunal. Mais comment imaginer que les trois magistrats qui ont déjà jugé et condamné Rios Montt à 80 années de prison pour le génocide de l’ethnie maya Ixil, peuvent retourner un mois en arrière comme si rien ne s’était passé ? Les trois juges se déclareront vraisemblablement « incompétents » et il faudra de nouveau chercher des juges qui acceptent de siéger. Vu les « pressions indues » en cours, il est probable que ce sera un nouveau casse-tête pour la Cour suprême. Le procès sera donc reporté encore une fois… s’il a un jour lieu !
Car autre difficulté, de nombreux témoins à charge ne voudront pas revivre les interrogatoires agressifs des avocats du dictateur et beaucoup craignent pour leur vie. Il risque de ne plus y avoir de témoins ixils. C’est évidemment ce que cherchent les avocats du dictateur. L’impunité a encore de beaux jours devant elle au Guatemala.
Jac FORTON