Il y a plusieurs manières d’aborder le Venezuela. Comme partout dans le monde, le sport y tient une place prépondérante. Toutefois, dans ce pays, comme à Cuba, le béisbol (Béisbol en espagnol, base-ball en français, baseball en anglais) est une pratique populaire enracinée dans l’histoire où il est connu comme « le sport roi » malgré son origine « yankee ». Le Musée du béisbol de Valencia est unique en Amérique latine. Il ne doit rien à Chávez, malgré sa passion pour ce sport. Cette institution d’éducation sans but lucratif doit tout à la famille de Carlos Daniel Cárdenas, un jeune Vénézuélien amoureux du béisbol, décédé à l’âge de 21 ans.
Photo : Museo del Beisbol
Valencia est la capitale de l’État de Carabobo. Cet état est connu dans les livres de l’histoire vénézuélienne pour une bataille qui eut lieu en 1821 et qui fut menée pour l’indépendance du pays. L’État de Carabobo a été aussi une région pionnière de l’industrialisation après la Seconde Guerre mondiale, du temps où le Venezuela s’enrichissait à grande vitesse grâce à la manne pétrolière.Tout au long de l’autoroute reliant Caracas à Valencia (200 km), on peut voir des implantations industrielles à l’arrêt. À partir de 2014, cela a provoqué un chômage à grande échelle et une émigration intérieure et vers l’étranger, sans précédent en période de paix. Tout au long de l’autoroute, des dizaines de kilomètres d’infrastructures en béton ont été construits pour le chemin de fer qui devait relier les deux villes en 45 minutes. Ces infrastructures inachevées auraient coûté deux milliards de dollars à l’État, en pure perte. Ces milliards « perdus », mais pas pour tout le monde, témoignent de la faillite de l’État et de la corruption qui le ronge. Rien n’est transparent dans ces ruines de béton et ces milliards de dollars dépensés. On dit que les travaux auraient été confiés à Odebrecht, entreprise brésilienne de travaux publics. Elle aurait versé, entre 2001 et 2016, près de 788 millions de dollars de pots-de-vin en échange de l’obtention de marchés publics dans dix pays latino-américains : le Brésil, l’Argentine, la Colombie, la République dominicaine, l’Équateur, le Guatemala, le Mexique, le Panama, le Pérou et le Venezuela1. En échange de pots-de-vin versés directement à des dirigeants politiques, l’entreprise obtenait des marchés publics surfacturés et des législations avantageuses. « La quantité et l’ampleur des travaux contractés au Venezuela, le nombre de contrats signés et les relations idéologiques, stratégiques et personnelles étroites entre les présidents Chávez et Lula Da Silva n’ont d’égal dans aucun autre pays, à l’exception du Brésil. Nous savons que sous le gouvernement d’Hugo Chávez, c’est-à-dire entre 1999 et 2012, 36 contrats ont été signés et qu’en 2013, avec Nicolás Maduro à la présidence, quatre nouveaux contrats ont été signés.2»
Transparency international, qui a établi un observatoire sur cette affaire3, note que le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire vénézuélien empêche de faire la pleine lumière sur les crimes commis et les criminels puissants de divers bords politiques qui ont été impliqués dans le scandale. Le peu d’empressement du gouvernement Maduro à faire la lumière sur cette question lui a permis de traverser la tempête judiciaire internationale sans emprisonnements, extraditions et suicides, contrairement à ce que l’on a pu observer au Pérou, par exemple, où quatre présidents, anciens présidents de la République ou candidats ont été incriminés et condamnés. Alan Garcia, ex-président du Pérou (2006-2011) s’est suicidé au moment de son arrestation en 2019. Maduro a finalement annulé l’ensemble des contrats passés avec Odebrecht. Restent les ruines et les enrichissements illicites. À Valencia, comme sur la route, la paralysie de nombreux chantiers de construction saute aux yeux. La ville est étendue, ses avenues sont amples et propres mais la cité semble peu habitée. Au cœur de la ville, la Place Bolivar est quasi déserte à midi. Le cinéma de la place est fermé, décrépi, durablement à l’abandon. Au centre-ville, des terrains couverts d’une végétation sauvage ne trouvent pas preneurs. Des chantiers de construction de logements et des gratte-ciel sont à l’arrêt depuis des années. « C’est simple, expliquent des investisseurs locaux : « le prix de vente des appartements ne peut même plus couvrir le montant de l’investissement nécessaire à l’achèvement des travaux pour permettre leur occupation ».
Le musée du base-ball, temple de la renommée
De même qu’à Caracas, on trouve à Valencia un immense centre commercial (Sambil) qui n’a rien à envier à ceux que l’on peut trouver dans les banlieues chic de Paris ou de Lyon. À Valencia, les sorties familiales semblent se faire dans ce temple de la consommation et de la restauration. C’est dans ce lieu fréquenté et sûr que le musée du béisbol a été inauguré le 18 avril 2002, pendant le mandat de Hugo Chávez. Mais il ne doit rien au président défunt, pourtant amateur de béisbol. Les biographes de Chávez racontent que l’enfant rêvait de devenir lanceur pour l’équipe des Giants de San Francisco, suivant les traces de son héros de jeunesse, le lanceur vénézuélien, Isaías « Látigo ». Chávez continua à aimer le baseball tout au long de sa vie et aurait même joué dans le championnat national en 19694. Fidel Castro, Hugo Chávez et tous les présidents des États-Unis jusqu’à Obama ont eu le même engouement pour ce sport national et l’ont instrumentalisé pour servir leur popularité et leur politique compte tenu de son immense audience. Au Venezuela, l’immigration cubaine des années 20 du siècle dernier, suivie de la manne financière des compagnies pétrolières étasuniennes a permis le financement de grands travaux et la possibilité pour la ligue vénézuélienne de recruter les bons joueurs des Negro Leagues américaines, au temps de la ségrégation. Le béisbol s’implante alors durablement dans la patrie de Simón Bolívar. Quant aux États-Unis, ce sport n’y serait pas le même sans la participation de joueurs d’origine latine qui représentent plus de 20 % des joueurs professionnels. Le Venezuela est un grand pourvoyeur de talents, avec la République dominicaine, le Mexique, Cuba, le Panama et la Colombie. L’ambition sportive, la compétition, la recherche de l’excellence incitent les joueurs latinos à rejoindre l’élite étasunienne du sport où les salaires sont mirobolants et se comptent en dizaines de millions de dollars.
Carlos Daniel Cárdenas
Né en 1973 avec une dystrophie musculaire de Duchenne, Carlos Daniel Cárdenas était condamné à l’invalidité à 9 ans et à la mort à l’adolescence. Porté par un entourage familial et médical exceptionnel, il a pu vivre jusqu’à 21 ans. Frappé dans son corps, toute son énergie et son intelligence se sont concentrés sur la lecture et l’écriture autour de divers sports au Venezuela et dans le monde avec une prédilection pour le béisbol. Durant sa scolarité au collège, les activités d’éducation physique de ses camarades étaient replacées pour lui en temps d’étude des règles de divers sports qu’il rêvait d’exercer. Après qu’il a décidé, avec ses parents, d’interrompre sa scolarité à 16 ans, il a pu se consacrer entièrement à son activité de lecture et d’écriture. L’accumulation de notes, de coupures de la presse sportive, d’entretiens avec des sportifs et des journalistes le conduit à écrire des biographies sur toutes les légendes vénézuéliennes du « sport-roi ». Peu à peu, il construit sur papier « un temple de la renommée » pour les légendes vénézuéliennes du béisbol. À 17 ans, en 1990, il publie son premier ouvrage « Venezolanos en las Grandes Ligas 5». C’est un panthéon pour les 55 grands joueurs ayant pu accéder aux grandes ligues étasuniennes, entre 1939 et 1989.Il considère avec humour que le travail abouti d’écriture devenu manuscrit vaut bien le baccalauréat. La publication de son premier livre en fait vite un personnage public. Il utilise sa notoriété pour servir des causes liées à l’enfance, l’éducation et la santé. Invité par les radios et les télévisions, impressionnées par son courage et sa culture historique et sportive, il gagne en assurance. Une course contre la montre est engagée pour finaliser d’autres projets. Il s’impose de nouveaux défis à la manière d’un sportif de haut niveau, jamais rassasié. En effet, constatant que les sports, les grands athlètes et les journalistes sportifs de talent n’ont pas la place qu’ils méritent dans l’édition, il décide de créer, avec l’aide de ses parents, un fonds éditorial6 dédié à la promotion et à la diffusion du sport-roi et d’autres sports. À moins de 20 ans, il gère une équipe de rédacteurs, de dessinateurs, de photographes et d’administratifs. Il mène une activité journalistique dans les colonnes sportives de divers journaux nationaux et devient membre de la Society for American Baseball Research.
Peu à peu naît le rêve d’un musée dédié au béisbol. Décédé le 1er mars 1994, Il n’en verra pas la naissance. Il laisse ce legs à ses amis et à ses parents dont la vie a été bouleversée, les transformant en experts sportifs et créateurs d’un musée unique en Amérique latine. Dans cette ambitieuse et coûteuse entreprise éducative et culturelle, l’État est absent. Sans subvention, l’éventuelle confiscation du musée pourrait être évitée et la mémoire de Carlos Daniel préservée. Inauguré en avril 2002, le musée propose une lecture historique, géographique, iconographique de ce sport et rend hommage aux légendes vénézuéliennes qui l’ont façonné : les sportifs, les entraîneurs, les arbitres, les dirigeants, les journalistes et les médias. Musée à caractère pédagogique, le musée de Valencia utilise les dispositifs de la muséographie moderne et il fait place aussi à une exposition permanente de dessins et de sculptures confiés à des artistes nationaux dont certains ont même une notoriété internationale7. La galerie circulaire présente un ensemble de sculptures qui magnifient les gestes d’une chorégraphie sportive complexe que l’on connaît peu en Europe. Enfin, le musée dispose d’un studio de radio et d’un terrain d’exercice couvert pour permettre au jeune public et aux groupes scolaires de manier les instruments du béisbol et de s’essayer aux gestes du lanceur, du batteur, du frappeur, du receveur…
La vie de Carlos Daniel Cárdenas, perclus depuis l’enfance et jusqu’à la fin, c’est la force de la volonté, des rêves et de l’intelligence d’un enfant et d’un jeune homme. Cette vie fut brève, douloureuse, intense, bouleversante. Elle montre aussi une famille vénézuélienne comme on en rencontre plus d’une fois et dans tous les milieux sociaux : malgré l’adversité, des caractères déterminés et francs, de l’humour comme pied de nez au désespoir, un refus de la fatalité, un goût certain pour le bonheur. « La vie est belle ! Voilà quelque chose que l’on devrait enseigner dans les écoles », dit le père de Carlos Daniel qui remercie son fils d’avoir transformé ses valeurs et donné sens à son existence, au service du Venezuela, pays auquel il est viscéralement attaché.
Maurice NAHORY
- « Amérique latine. L’affaire Odebrecht, une corruption qui éclabousse le continent », Courrier international, 22 février 2017 ↩︎
- Rapport Odebrecht 2018- Transparency Venezuela ↩︎
- idem ↩︎
- Wikipedia- Chávez ↩︎
- Il est possible d’accéder à un documentaire qui lui est consacré et à la présentation de l’auteur et du musée du béisbol en ligne (FODNDO Editorial Cardenas Lares) ↩︎
- Fondo Editorial Cardenas Lares. Carlos Daniel Cardenas est l’auteur de quatre ouvrages dédiés aux sports et accueille des auteurs de littérature sportive ↩︎
- Adolfo Estopina ↩︎