Pour sa 36e édition de la Feria del Libro de Bogotá, la Colombie mettra à l’honneur tous les acteurs du livre louant les vertus de la conscience écologique. La politique culturelle de Jorge Ignacio Zorro rejoint celle du président de la République, Gustavo Petro et de son homologue brésilien, s’inscrivant tous dans une lutte pour la transition écologique de leur pays. Le Brésil se fait l’invité d’honneur dans ce programme 2024 de “Lee la naturaleza” (Lis la nature).
Photo : Filbo 2024
En 2023, la FILBo reçut plus de 600 000 visiteurs en quinze jours de festivals avec une augmentation de 16 % par rapport à 2022. Plus d’une quarantaine de maisons d’édition y avaient exposé leurs ouvrages, plus de 2 000 activités culturelles y avaient été proposées, plus de 6 000 ouvrages y avaient été vendus. Les grands groupes éditoriaux, librairies et acteurs de la scène culturelle latine s’y étaient retrouvés lors de réunions de négociation investissant plusieurs millions d’euros dans le secteur culturel du livre. En s’inscrivant dans le thème “Races et rencontres”, dans un souci d’ouverture à la multiplicité culturelle et l’invitation à la rencontre, la tolérance, l’invité d’honneur était le Mexique en 2023. La présence de l’ONU à Bogotá avait également permis une sensibilisation sur la question du genre et de la biodiversité. Un thème paradoxal en regard de la polémique autour de l’auteur le plus vendu de cette 35ème édition, le polémiste argentin Agustín Laje avec son Generación idiota. Les idées anti-avortement, anti-mondialiste de ce politique de la Nouvelle Droite et sa confrontation perpétuelle aux idées de tolérance, féministes et LGBTQ n’appelant pas aux rencontres souhaitées par la programmation de la FILBo de se faire.
Environnement et transition écologique deviennent les thèmes phare de la 36ème édition de la FILBo au printemps 2024. Lis la nature invite directement les visiteurs de la feria à découvrir leur rapport à l’environnement via le prisme de leurs livres, des conférences animées et activités interactives qui seront proposées du 18 avril au 2 mai. La présidence de la FILBo et son comité de programmation expliquent ce choix sur leur site officiel en comparant le calme et la lenteur harmonieuse de la vie des plantes à la pratique de la lecture. La feria propose ainsi d’apprendre à progresser dans sa lecture sur la nature en mimant son rythme. Une brève référence au concept de justice écologique et un léger rappel de l’urgence de cohabitation entre les différentes espèces terrestres permettent de reconsidérer l’opposition entre nature et culture trop rapidement établie. Le choix de cette thématique nous conduit néanmoins à nous questionner sur l’engagement écologique effectif des deux pays sous les feux de ces projecteurs littéraires. Plus de 120 auteurs de 25 pays différents seront présents en Colombie dont la France avec Muriel Barbery, l’Égypte avec Ahmad Mohsen et bien entendu l’Espagne avec de nombreux auteurs représentant tous les genres littéraires. Les auteurs et rencontres mis en avant par la programmation de la FILBo s’inscrivent dans un rapport spécifique à la nature. Que cela soit pour la chanter et la louer dans la poésie comme le font Andrea Cote et Santiago Espinosa, considérer la nature par une approche philosophique, anthropologique avec les travaux de Carlos Eduardo Maldonado ou sous le prisme des avancées scientifiques avec Paco Calvo : le thème de la nature redonne vie aux vestiges d’arbres que sont les livres.
L’engagement de la Colombie pour sa transition écologique
Depuis les Accords de Paris de 2016, la Colombie et son président Iván Duque s’étaient engagés dans de grandes réformes climatiques et environnementales. L’État avait ainsi émis sa volonté de parvenir à une neutralité carbone d’ici 2050. L’Agence Française de Développement a apporté son soutien à des démarches de transition de la Colombie en versant 870 millions d’euros de prêt. En 2021, l’État avait également adopté la loi 2169 d’action climatique résumant en 24 articles les mesures à courts et moyens termes entreprises par le pays pour parvenir d’ici 2030 à stopper toute déforestation, réduire les émissions de carbone noir de 40 % et de 51 % les gaz à effet de serre. Cette démarche avait permis de ralentir la déforestation de l’Amazonie de 13 %, chiffre restant néanmoins très faible par rapport aux efforts des pays engagés dans les mêmes démarches. En 2022, la Colombie restait le pays comptant le plus d’assassinats contre des défenseurs de l’environnement.
L’arrivée du premier président de gauche Gustavo Petro en juin 2022 et les promesses écologiques et sociales de son programme ont redonné espoir aux défenseurs de l’environnement. Décarbonisation, transition énergétique, protection marine et nomination de la dynamique Susana Muhamad au ministère de l’Environnement, tout portait à livrer les clefs de l’Eden amazonien à Petro. En moins d’un an de mandat, la déforestation a baissé de 29 %. La Colombie a créé l’Alliance pour la préservation des forêts tropicales et humides et classe depuis ses territoires sauvages en parcs naturels protégés ou y reconnais le droit du sol de ses peuples indigènes. Les observateurs de WWF se montrent ravis du virage écologique pris par la Colombie. Dans cet élan progressiste à la fois environnemental et social, Gustavo Petro avait ratifié l’Accord d’Escazú pour une participation citoyenne dans les choix de politique environnementale menés par ses membres. 60% des forêts colombiennes étant habitées par les Indigènes, Petro a également investi 600 000 pesos dans le Fond pour la Vie et la Biodiversité. Cette initiative a pour but de mener à bien “des actions telles que la restauration et la récupération des écosystèmes, la lutte contre la déforestation, l’aménagement du territoire autour de l’eau, la justice environnementale et de faire en sorte que les transformations productives puissent disposer de ressources pour leur durabilité », selon la formule de Susana Muhamad. Il convient aussi de souligner le protagonisme qui est confié aux peuples autochtones puisque ces derniers se voient, grâce au dispositif, intégrés dans le processus décisionnel lorsqu’il est question de ressource naturelle. Une démocratie écologique en laquelle la Colombie de Petro place de grands espoirs.
¡ Gracias a la FILBo ! ou comment Lula réaffirme son engagement environnemental
Héritier direct de l’ingérence environnementale du président Jair Bolsonaro au profit de du regain économique du Brésil via l’exploitation minière et d’hydrocarbures des terres amazoniennes, il est difficile de jeter directement la pierre, ou du moins la liane, à Luis Inacio Lula. Élu depuis un petit plus d’un an, le président a déjà engagé son pays dans de grandes réformes écologiques et participe activement aux grandes organisations internationales et continentales œuvrant pour le développement durable. Lors de la COP28 du mois de décembre 2023, le Brésil s’était inscrit dans le Plan de Transformation Écologique et avait été investi de la présidence temporaire du G20. La ville amazonienne de Belén sera d’ailleurs hôte de la COP30 en 2025. Cette dernière avait déjà reçu le Sommet Amazonien et l’Organisation du Traité de Coopération Amazonienne en août 2021. Cette invitation d’honneur de la part de la Colombie ne pouvait pas sembler plus logique dans un temps où les deux présidents font acte d’engagement au sein des grandes instances écologiques mondiales.
En réalité, les observateurs du climat et de l’écologie, dont Marcio Asturi, alertent sur l’insuffisance des efforts de transition du Brésil en 2023. La déforestation de 11 000 km2 a encore fait reculer la frontière agricole du pays, le secteur représentant un quart du PIB national. Le Brésil reste encore le 6ème pays émetteur mondial de dioxyde de carbone et s’est inscrit au sein de l’OPEP+, la coalition des pays exportateurs de pétrole. Ainsi malgré toute la bonne volonté affichée lors des sommets par Lula, sa priorité pour le développement économique de son pays le conduit à se placer en faveur de l’exploitation des hydrocarbures et des ressources minières en Amazonie, exploiter sa rivière Amazonas et développer le plan d’aide gouvernementale Safra pour l’agro-industrie. Seulement 0,5 % des investissements sont consacrés à l’agriculture à basse émission de carbone.
Lula se trouve encore au début de son mandat électoral et il a déjà fait reculer la déforestation de 13 % en Amazonie et se rattrape par son investissement de 4,5 millions de dollars à la Banque Nationale de Développement du Brésil en faveur du commerce durable. Il est encore trop tôt pour conclure à une ingérence mais le scandale autour des exploitations minières illégales et la famine vécue par le peuple indigène des Yanomami doivent déjà être considérés comme des manquements graves de la part du gouvernement brésilien à la sécurité environnementale et sanitaire envers leurs citoyens. L’alliance affirmée sur les fronts politiques, économiques et culturels, tels qu’à la FILBo 2024, des pays d’Amérique latine doit donner l’impulsion aux puissances internationales pour s’allier dans le développement durable et la protection de la planète dont elles dépendent toutes.
Joanna LENS