Gilberto Villarroel, auteur chilien, nous conte depuis quelques années les épiques aventures fantastiques de Lord Cochrane. Il délaisse son héros le temps d’un roman, toujours fantastique, dans les décombres d’un Santiago contemporain en proie à un mal funeste…
Photo : Aux Forges de Vulcain
Gabriel est un journaliste habitué aux zones de guerre. Mais alors qu’il est sur la plage de Pichilemu, face au Pacifique et dos à Santiago, à observer des surfeurs courir sur la plage et plonger dans les vagues, il apprend au téléphone que sa compagne, Sabine, est enceinte, il n’imagine pas que tout son univers s’apprête à devenir l’une de ces zones de guerre. Car soudain, la terre se met à trembler, la mer se retire, et l’enfer surgit. Prêt à tout pour retrouver sa compagne isolée dans le Valhalla, la plus haute tour de la ville, Gabriel fera équipe avec Tony, un Marine de sa connaissance qui voit en le journaliste le guide parfait pour mener une mission périlleuse dans les rues de Santiago. Gabriel l’ignore encore, mais le tremblement de terre a réveillé un être séculaire dont l’existence était tenue secrète, jusqu’à maintenant. C’est dans un Santiago dévasté et isolé du monde que Gabriel et Tony vont croiser pêle-mêle un prêtre à protéger, trois mineurs en grève, des élites avec beaucoup de contacts, beaucoup d’argent et peu de honte, des morts et des Santiaguinos sanguinaires, qui frôlent les murs à la recherche d’ombre et se cachent du soleil en attendant de sauter au cou des vivants.
C’est aussi un parcours dans la mémoire du pays, du bunker de Pinochet à la place Baquedano, dans ces lieux qui ont abrité l’horreur de la dictature, de l’expérience néo-libérale qui a contaminé le Chili, puis l’espoir de l’estallido social. Des milliers de personnes sacrifiées, vampirisées, des volontés soumises à la domination et à l’avidité des puissants dont les actes n’ont pour objectif que la sauvegarde de leur propre vie, de leur propre profit. Gabriel et les trois mineurs, altruistes et choqués dans leur humanité, sont confrontés au cynisme et aux mensonges tant des États-uniens, toujours présents aux entournures, oiseaux de mauvais augures, qu’aux dominants chiliens prêts à tuer ou laisser mourir si cela sert leur cause. Les pires monstres n’ont pas peur de se montrer au grand jour comme en pleine nuit, et il est parfois plus facile de combattre le Mal ultime que celui qui, fourbe et insidieux, manipule, accule, blesse et oppose sa population.
Roman dystopique et surtout allégorique, Zona cero (terme qui désignait pendant l’estallido social le centre de la ville) fait éclater les traumas du Chili, les espoirs brisés, les vies perdues, sans faux-semblants, tout en laissant briller en creux la petite lumière qui pourrait peut-être ramener un soleil purificateur. Avec un équilibre parfait, Gilberto Villarroel mêle tant l’histoire, la politique, le suspense et le fantastique et nous propose un roman aussi prenant que saisissant et instructif, bref, une belle et forte réussite !
Marcelline PERRARD
Zona cero, de Gilberto Villarroel, traduit de l’espagnol (Chili) par Carole Filière, éditions Aux forges de Vulcain, 443p., 2024 / en espagnol : Zona cero, Penguin Random House.
Pour savourer d’autres chroniques littéraires réalisées par Marcelline Perrard, nous vous donnons rendez vous aussi sur son blog : Encore une tranche