“La Colombie : une puissance pour la vie”. Ce sont les mots que Gustavo Petro, président de la Colombie depuis août 2022, a prononcé en juillet dernier en ouverture d’une session parlementaire nationale. Depuis son élection, Gustavo Petro conserve un discours singulier et novateur au sujet de la nécessaire protection de la planète et de la vie sur Terre par les États du monde entier. Cela s’accompagne d’occurrences de plus en plus récurrentes du président colombien sur le devant de la scène des négociations internationales à ce sujet.
Photo : DR
Un peu plus d’un an plus tard, en décembre 2023, à Dubaï, sur l’estrade de la 28ème Conférence des Parties, au milieu des annonces d’ambitions nationales pour le climat sans fin, la Colombie a été le premier grand pays à rejoindre le traité de non-prolifération des énergies fossiles proposé par les petits États insulaires. Quelques jours plus tard, il était annoncé que le pays accueillerait la COP16 biodiversité du 21 octobre au 1er novembre 2023. Pour Ximena Barrera, responsable des affaires gouvernementales et des relations internationales à WWF Colombie, cette annonce témoigne d’un certain « leadership de la Colombie dans les négociations internationales en lien avec les agendas sur la biodiversité, le climat et le développement durable” qui seront à même d’apporter “une autorité énorme à sa présidence ». Sandra Valenzuela, directrice exécutive du WWF Colombie, a ajouté que la désignation de la Colombie est une réussite qui s’inscrit dans le chemin des engagements pris par le gouvernement national pour protéger la nature et qu’il s’agit d’un moment clé “pour l’engagement de la Colombie à préserver notre planète et à envoyer un message d’Amérique latine sur l’importance de l’action climatique et de la protection de la vie« .
Depuis son arrivée au pouvoir, Gustavo Petro a saisi chaque événement inscrit à l’agenda international pour le climat et la biodiversité afin de faire valoir ses idées pour la protection de la planète. En juin 2023, à l’occasion du Sommet de Paris pour un nouveau pacte financier, il demandait dans une tribune pour le journal Le Monde aux pays les plus émissifs d’assumer la transition énergétique des Suds via des mécanismes d’échanges de dette contre nature, consistant à réduire la dette d’un État contre son engagement à dépenser une fraction de la réduction consentie pour protéger l’environnement. Au début du mois de septembre, durant l’Africa Climate Week, sa vice-présidente, connue pour son passé de militante pour l’environnement, mettait en avant la proposition d’un “plan Marshall pour la revitalisation de la planète”. Gustavo Petro en faisait de même lors de l’Assemblée générale des Nations unies quelques semaines plus tard. Certaines de ses ambitions, annoncées dès son discours d’investiture, ont été en partie réalisées. Un fonds pour l’Amazonie a été créé en août 2023 lors du Sommet pour l’Amazonie. Suite à la COP28, le Kenya, la France et la Colombie ont intégré une task force pour étudier la possibilité des mécanismes d’échanges de dette contre nature. Il semble ainsi que la Colombie témoigne d’un certain dynamisme sur les sujets liés au climat et à la nature.
Néanmoins, cela n’appartient ni exclusivement au mandat de Gustavo Petro, ni spécialement à l’année 2023. En effet, la Colombie était dès 2015 un des pays du Sud le plus actif dans la négociation des objectifs de développement durable, via la figure de la négociatrice colombienne Paula Caballero qui en est à l’origine. Aux côtés du Guatemala, elle faisait partie des premiers pays à avoir milité pour que les objectifs millénaires du développement, mis en place par l’ONU en 1996 à l’occasion de l’accord de Kyoto et le climat, soient négociés ensemble et qu’il ne s’agissait pas de deux agendas différents. Ce sujet a été porté chez les pays émergents grâce à la Colombie, et a eu un effet tâche d’huile sur l’Amérique latine. L’Agenda 2030, porté par dix-sept objectifs de développement durable, doit son existence à l’activisme colombien sur le sujet. Même s’il s’agit d’un objet politique complexe, il a encore une légitimité politique très forte pour bon nombre de pays du Sud et du Nord. Cela s’est illustré avec la publication du premier bilan mondial lors de la COP 28 à Dubaï.
Ces annonces sont accompagnées d’efforts réalisés au niveau national, orientés depuis quelques années par une trajectoire net zéro 2050. Dès 1993, la Colombie s’est dotée d’une loi sur la gestion de l’environnement connue sous le nom de « loi 99 ». Il s’agit de l’un des dispositifs les plus avancés en Amérique latine. Le ministère de l’environnement colombien, créé en 1993, a mis en place avant de nombreux autres pays une structure de veille sur le changement climatique. Conscient de sa fragilité, Bogotá a toujours été aux premières loges de la lutte contre le changement climatique. Enfin, en septembre 2015, la Colombie a été le premier pays d’Amérique du Sud à avoir transmis son plan d’action climatique visant à réduire les émissions et à s’adapter aux effets des changements climatiques, à savoir sa contribution déterminée au niveau national (CDN), dans le cadre de la COP21 et en prélude à la signature de l’accord climat de Paris.
Aujourd’hui, malgré les ambitions affichées tant au niveau national qu’international pour la lutte contre le changement climatique et la protection de la biodiversité, le pays fait face à ses propres contradictions, qui pourrait entraver son image avant-gardiste pour la protection de la biodiversité sur la scène régionale et internationale. Tout d’abord, et comme le souligne Mathilde Allain, maîtresse de conférence en sciences politiques à l’IHEAL (Institut des Hautes Études de l’Amérique latine), son économie repose toujours essentiellement sur l’extraction des ressources naturelles : “le modèle économique est le même que dans les pays de la région, c’est seulement le changement de gouvernement qui pousse la Colombie à s’ériger en protectrice de la planète, en se basant sur son potentiel important de biodiversité”. Si le gouvernement Petro a annoncé en janvier 2023 la suspension de tous les projets pétroliers dans le pays, notamment pour protéger sa riche biodiversité, la Colombie a récemment entamé de nouveaux forages dans un pays frontalier, le Venezuela, ce qui lui vaut de nombreuses critiques.
Mathilde Allain, rappelle qu’il ne faut pas oublier la réalité du conflit armé en Colombie, “qui a eu pour effet de « protéger » des espaces naturels importants, et de préserver, dans une certaine mesure, l’exploitation des forêts, parce que ces espaces étaient inaccessibles et parce que les guérillas avaient un intérêt stratégique à maintenir ces espaces”. Mathilde Allain explique en outre qu’il reste énormément à faire au niveau national pour rendre les politiques environnementales effectives et les faire évoluer. « La législation est encore faible, notamment en termes de mesure, d’évaluation et de contrôle des impacts environnementaux des activités économiques, notamment extractives”, ajoute-t-elle.
Il faut aussi noter que le dynamisme de la Colombie n’est certainement pas le simple reflet de volontés étatiques ni uniquement de quelques politiques environnementales liées à la sauvegarde de la nature. « L’influence provient des ONG environnementales ainsi que des différents mouvements socio-environnementaux qui se sont multipliés ces dernières années, il existe de nombreux pans de la société civile organisée qui s’opposent à des projets d’extraction qui détruisent leur territoire et leurs espaces de vie, ainsi qu’aux projets plus anciens qui polluent leur environnement et affectent leur santé« , explique Mathilde Allain. La lutte des ONG environnementales politise ces enjeux : la nature n’est pas seulement une question périphérique, mais elle est reléguée à tout le monde.
Ce dynamisme national, porté vers l’international, de la Colombie sur les sujets de climat et de nature sera peut-être amené à influencer d’autres pays de la région, et à ériger la Colombie en « puissance pour la vie », qu’elle soit régionale, au niveau des Suds, ou, au niveau global. Le sujet du « post-extractivisme » est par exemple récemment aussi arrivé sur la table en Équateur, alors que deux référendums ont respectivement suspendu des projets de forage pétrolier et de mine au mois d’août dernier…
Julie DUCOS