Menaces de mort, criminalisation, exil, assassinats politiques, etc. En Amérique centrale et du sud, où les libertés publiques se rétrécissent, les défenseurs des droits, en lutte contre la corruption, la déforestation ou les déplacements forcés de populations autochtones, font l’objet de représailles. Fondatrice du Festival Solidarios, une manifestation artistique itinérante au Guatemala, et membre du Collectif Guatemala, soutenu par le Secours Catholique, Lucia Ixchiu alerte sur la situation inquiétante des militants et le coût élevé de l’engagement dans cette région du monde.
Photo : Élodie Perriot
Vous vivez en exil à Bilbao, en Espagne, depuis près de deux ans. Qu’est-ce qui vous a poussé à quitter votre pays ?
Lucia Ixchiu : Depuis le début de mon engagement en faveur des droits autochtones, au début des années 2010, ma famille, les personnes qui me sont liées de près ou de loin et moi-même faisons face à différentes actions d’intimidation : menaces de mort directes, à domicile, menaces de renvoi voire de licenciement, ligne téléphonique coupée, agression physique et verbale etc. En 2014, alors que nous nous mobilisions contre la fermeture d’une radio communautaire, ma sœur et moi avons été agressées physiquement par un maire, proche de narcotrafiquants. En 2016, un groupe paramilitaire s’en est pris à nous, alors que nous rentrions d’un festival artistique auquel on avait pris part, et nous a séquestrées quelques jours. En 2020, nous avons échappé à une tentative de meurtre alors que nous participions à une manifestation contre le défrichement de notre forêt. Ma sœur s’en est sortie avec des côtes cassées.
Notre histoire n’est pas isolée. Ces risques, les défenseurs des droits les subissent quotidiennement à travers l’Amérique centrale et du Sud, indépendamment de leur origine : indigènes, métis, issus de zone rurale ou urbaine. C’est le même schéma qui s’est reproduit dans les différents pays de la région : l’établissement d’un narco-État lié à des groupes paramilitaires qui agissent en toute impunité, persécutant et criminalisant les responsables de luttes.
Le problème est donc avant tout politique, selon vous ?
Tout à fait ! Je me suis engagée en 2012, à la suite d’une mobilisation des habitants de mon village, Totonicapan, contre l’augmentation du prix de l’électricité. La mobilisation a été réprimée dans le sang, une trentaine de personnes ont été tuées. Ce massacre a été perpétré par l’armée. La responsabilité de l’État guatémaltèque est donc entière. Ce massacre s’inscrit dans un continuum de violence imposée aux populations locales depuis l’instauration d’un système colonial, qui n’a, en réalité, jamais disparu. Il est important de comprendre le rôle des Etats-Unis dans la mise en place et le maintien de républiques bananières en Amérique centrale et du Sud qui empêchent jusqu’à ce jour le respect du droit à l’autodétermination des peuples autochtones. La campagne de diffamation, même en exil, continue.
Êtes-vous encore victimes d’intimidation ou de harcèlement, même en exil ?
Bien sûr ! La campagne de diffamation contre ma famille et moi-même, orchestrée par les services de l’État guatémaltèque, continue. Au départ, des flyers ont été distribués dans mon village pour me décrédibiliser. Puis, la campagne s’est déployée sur les réseaux sociaux. Des groupes d’extrême droite ont fait appel à de nombreux influenceurs pour attaquer ceux qui ne pensent pas comme eux. C’est une pratique courante. Leur stratégie est claire : s’ils ne peuvent pas nous anéantir physiquement, ils cherchent à nous réduire au silence. Même si on s’est exilé, les adversaires des défenseurs des droits continuent de vouloir nous bâillonner. C’est inquiétant de remarquer que leur travail de sape est en train de fonctionner. Certaines organisations commencent à croire ces discours mensongers et à se retourner contre des militants. Dans mon cas, j’ai perdu le soutien d’une partie des habitants de mon village qui s’est laissée convaincre par cette campagne de diffamation.
Malgré cela, vous poursuivez la lutte.
Complètement ! Nous continuons de nous organiser et de nous mobiliser en faveur des droits des peuples indigènes. Notre priorité n’a pas changé, nous demandons toujours de récupérer les terres qui ont été volées aux communautés autochtones. Il faut savoir qu’au Guatemala 80% des terres sont détenues par seulement onze familles. C’est une lutte qui s’avère difficile, dans des conditions précaires. Néanmoins, je me sens plus utile, plus libre de porter la voix des personnes mobilisées. Le festival que nous avons créé en 2013, Festival Solidarios, organise encore des événements publics à travers le pays. Nos équipes, sur place, restent mobilisées. Le festival est avant tout un espace pour créer une mémoire collective et élaborer un contre-récit sous de multiples formes artistiques.
Propos recueillis par Djamila Ould Khettab
pour Secours catholique Caritas France