Le Venezuela vit depuis des années un psychodrame électoral. Le calendrier sera-t-il respecté ? La consultation sera-t-elle libre et transparente ? Tous les candidats pourront-ils se présenter ? Oppositions et Autorités se sont-elles enfin mises d’accord sur les règles du jeu ?
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Et bien les Vénézuéliens sont bel et bien invités à voter le 3 décembre prochain. Et pour une fois il semble que tous vont faire leur devoir électoral sans états d’âme. Oppositions, président, et partis politiques vont participer, voter, et personne ne va contester le résultat. Comment comprendre, ce qui ressemble à un retournement de situation pour le moins inattendu et surprenant. Après tant de polémiques, d’anathèmes, d’accusations croisées accompagnées de qualificatifs divers et variés, l’urne ne serait plus à double fond, mais consensuelle. Cette votation n’a rien de miraculeux. Le 3 décembre, les Vénézuéliens ne vont pas élire leur président. Ils ne vont pas renouveler leur parlement. Ils sont convoqués à un référendum consultatif. Pour répondre oui ou non à cinq questions qui ne font pas débat. Elles concernent une région appelée Esequibo, partie de l’État voisin du Guyana, et historiquement revendiquée par Caracas.
Le Venezuela exige le respect des frontières héritées de la colonisation, le report de sa frontière est sur la rive gauche du fleuve Esequibo, et donc l’absorption, ou la réintégration, du territoire portant le nom d’Esequibo est objet de la dispute, relève du Guyana, ancienne colonie anglaise. Ce territoire de 159 000 kilomètres carrés représente 70 % de la superficie totale du Guyana. Des gisements de pétrole y ont été découverts en 2015 par la société nord-américaine Exxon Mobil.
Les Vénézuéliens ont au moins tous l’Essequibo en partage. Ensemble ils exigent la restitution d’une terre qu’ils considèrent leur, volée, il y a bien longtemps, mais volée, par le colonisateur britannique. Ils ont sollicité au nom de la Doctrine Monroë la médiation des États-Unis à la fin du XIXe siècle. L’accord trouvé à Paris en 1899 a tranché en faveur de Londres à partir de documents cartographiques manipulés. Depuis Caracas proteste et a porté en 1962 le dossier devant l’ONU. À Genève en 1966, trois mois avant l’accession à l’indépendance du Guyana, le principe du gel du différend a été adopté, ainsi que celui d’un dialogue entre Caracas et Georgetown pour trouver une solution. À défaut, le Secrétaire général de l’ONU doit prendre la responsabilité du dossier et de son règlement. Le Guyana de son côté a saisi la Cour Internationale de Justice en 2018.
Le 24 octobre 2023, le président vénézuélien a pris la décision de réactualiser le différend en organisant le 3 décembre un référendum consultatif. Les cinq questions posées aux électeurs sont les suivantes :
- Êtes-vous d’accord pour refuser par tous les moyens disponibles en droit, la ligne frontalière imposée frauduleusement par la décision arbitrale de Paris en 1899, prétendant nous voler notre Guyane de l’Essequibo ?
- Soutenez-vous l’Accord de Genève, de 1966, comme le seul instrument juridique valide, pour trouver une solution pratique et satisfaisante pour le Venezuela et la Guyane concernant la controverse sur le territoire de la Guyane d’Essequibo,
- Êtes-vous d’accord avec la position historique du Venezuela qui refuse de reconnaître le tribunal de la Cour internationale de Justice pour résoudre la controverse territoriale sur la Guyane d’Esequibo,
- Êtes-vous d’accord pour s’opposer par tous les moyens conformes au droit à la prétention du Guyana de disposer unilatéralement d’une mer contestée et de la délimiter illégalement en violation du droit international,
- Êtes-vous d’accord pour que soit créé un État de Guyana Essequibo et que soit mis en place un plan de développement accéléré d’attention intégrale à la population actuelle et future du territoire incluant entre autres, l’octroi de la citoyenneté, d’une carte d’identité vénézuélienne, conformément à l’Accord de Genève et du Droit international, incorporant donc en conséquence cet État dans l’ensemble du territoire vénézuélien ?
La date de réactivation spectaculaire du différend interroge. Le compromis récemment négocié avec les États-Unis, la levée de sanctions, permet au Venezuela de reprendre souffle économiquement. Et donc lui rend une capacité d’intervention internationale jusque-là impossible. Le recours au vote des Vénézuéliens, la certitude compte tenu du caractère consensuel du dossier Essequibo, conforte la main rendue à Caracas. Ce qui ne va pas sans inquiéter. Les pays de la région se sont déclarés solidaires du Guyana le 22 septembre 2023. Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, le 10 novembre 2023, a signalé « son inquiétude (…) et espéré que les deux parties (…) éviteront toute action susceptible d’aggraver ou d’étendre la controverse ». Peut-être pense-t-il aux effets d’aubaine offerts par les crises d’Ukraine et du Proche-Orient, qui ont permis par exemple à l’Azerbaïdjan de récupérer le Haut Karabagh au terme d’une brève guerre éclair ?
Peut-être y a-t-il aussi, avec ce référendum unanimiste, annoncé le 24 octobre au lendemain des primaires organisées le 22 octobre par l’opposition en vue des présidentielles de 2024, une intention maligne de politique intérieure ? D’autant plus que la personnalité d’opposition choisie, María Corina Machado, populaire en dépit de ses amitiés extrêmes, a inquiété le pouvoir. Un compromis a bien été signé le 18 octobre entre le gouvernement de Nicolás Maduro et la Plateforme unitaire de l’opposition. Mais les primaires de l’opposition et la candidate élue ont été invalidés par le Tribunal suprême de Justice le 30 octobre.
Hugo Chávez avait visité ses voisins du Guyana. Soucieux d’asseoir l’influence du Venezuela dans la région caraïbe il avait mis en sommeil la revendication de l’Essequibo. Il est vrai qu’il avait su en interne imposer son autorité, tout en respectant les règles du jeu démocratiques. Au point que c’est l’opposition qui avait mordu sur les interdits, en tentant de le renverser de façon violente.
Jean Jacques KOURLIANDSKY