De la rupture des relations diplomatiques au rappel des ambassadeurs afin de marquer leur désaccord envers « la violation du droit humanitaire » par Israël à Gaza : tour d’horizon des positions latino-américaines sur le conflit en cours. Au bouclage de cette news les positions sont bien partagées : soutien à Israël : Argentine, Uruguay, Paraguay, Pérou, Équateur, Costa Rica et Panama. Soutien au Hamas : Nicaragua et Venezuela et appel à la désescalade : Mexique, Cuba, Honduras, Colombie, Brésil, Bolivie et Chili.
@Photo : Pongo Presse
La guerre entre le Hamas et Israël, déclenchée le 7 octobre, ravage la bande de Gaza depuis plus de quatre semaines. De nombreux pays occidentaux ont exprimé leur soutien à l’État d’Israël de façon presque unanime. Au contraire, la réponse des pays latino-américains est hétérogène : le Chili et la Colombie rappellent leurs ambassadeurs à Tel-Aviv pour « protester contre des violations du droit humanitaire ». De son côté, la Bolivie décide, le 2 novembre, de rompre ses relations diplomatiques avec Israël, tandis que le Brésil, qui préside le Conseil de sécurité des Nations unies, s’efforce de trouver une solution politique à la guerre, prône le cessez-le-feu et la création d’un couloir humanitaire. La diversité de ces réactions diffère de celles des pays occidentaux, préoccupés par les rapports à entretenir avec Israël. De leurs côtés, les pays du « Sud global » semblent moins réceptifs au narratif israélien.
Malgré la défense d’un discours affirmant l’autonomie et la lutte contre toute forme d’oppression par des puissances extérieures, une grille d’analyse commune prend forme : consternation, condamnation, réponse politique et appels à la désescalade sont les mots d’ordre. La solution binationale prévaut dans les positions politiques de tous les États latino-américains. Néanmoins, quelques positions fortes détonnent. Au lendemain de l’attaque du Hamas, deux positions majeures divisent l’Amérique latine. La première condamne l’attaque et exprime un soutien à l’État d’Israël. La seconde appelle à la désescalade, avec ou sans condamnation de l’attaque du Hamas. Le spectre des positions s’étend à partir du 20 octobre, à la suite de l’offensive menée par l’armée israélienne contre la bande Gaza. Aux deux premières s’ajoutent celle d’une condamnation des exactions des deux partis et celle d’une critique et d’une condamnation des actions d’Israël.
Le réveil du conflit israélo-palestinien crée alors un clivage diplomatique qui divise l’Amérique latine. Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces divergences entre les États. En premier lieu, les positions radicales exprimées par la Bolivie, le Venezuela et le Nicaragua deviennent systématiques. Tous dénoncent l’occupation et la colonisation israélienne des territoires palestiniens. Sans soutenir les actions du Hamas, ils s’opposent à l’impérialisme du bloc occidental et de ses alliés. La défense du cas palestinien est un moyen pour eux d’exprimer leur lutte contre toute forme d’oppression par les puissances internationales.
Deuxième élément soulevé par la guerre Hamas-Israël : le bord politique des États n’est pas un facteur déterminant pour expliquer les réactions face à la guerre. Des discours variés sont exprimés au sein des gouvernements sud-américains considérés progressistes tels que le Brésil, le Chili, l’Argentine, le Mexique ou la Colombie, de même qu’au sein des gouvernements plus conservateurs comme l’Équateur, l’Uruguay ou le Guatemala. Ainsi, certains rapprochements prennent place entre différents gouvernements pourtant opposés sur le spectre politique. L’antagonisme entre les chefs d’État s’atténue pour appeler à une désescalade et promouvoir une solution binationale au conflit israélo-palestinien.
Un autre facteur explicatif des positions latino-américaines est la présence de diasporas juives ou palestiniennes, plus ou moins importantes, dans chacun des pays. Au cours de l’histoire, les différentes guerres sur le sol israélo-palestinien engendrent des vagues d’immigration successives vers l’Amérique du Sud. Le conflit a donc des échos importants sur le territoire. Les deux pays les plus touchés par ce facteur sont l’Argentine et le Chili. Le premier abrite une grande communauté juive, et le second la plus grande communauté palestinienne d’Amérique latine. Pour des questions de paix intérieure, ces deux gouvernements ont tenu des propos adaptés à leur population, malgré le dénominateur commun d’appel à la désescalade. C’est d’ailleurs peut-être pour cette même raison que l’appel à la désescalade domine : la perspective d’une propagation du conflit à l’Amérique latine due à la présence de grandes diasporas juives et palestiniennes n’est pas attractive pour les chefs d’État.
L’histoire joue également son rôle dans certaines des réponses communiquées par les États. Par exemple, le président colombien Gustavo Petro, fort de l’expérience de la guerre civile qu’a connue son pays, préconise un dialogue et une négociation politique qui reconnaissent de manière intégrale l’État palestinien. Pour lui, seule cette solution peut mettre un terme au conflit, et non l’approche militariste. Sa réponse aurait probablement été différente si la Colombie n’avait pas connu les ravages des exactions armées pendant la guerre civile.
Dernier élément révélé par le conflit israélo-palestinien : la fragmentation politique du continent. Même si le conflit active des rapprochements entre les États latino-américains afin que le Brésil puisse porter la voie latino-américaine au conseil de sécurité de l’ONU, aucune organisation régionale, mis à part l’Alba, le groupe des gauches radicales du continent, n’a émis de déclaration pour exprimer leurs positions face aux événements du 7 octobre et leur suite. De plus, malgré les réunions onusiennes organisées à l’initiative du Brésil et les efforts diplomatiques de ce dernier, aucun texte international n’a pu être constitué pour favoriser l’aide à la population gazaouie.
Ainsi, les réactions des pays latino-américains viennent rompre l’idée d’une unité d’un Sud global avec pour seule ambition l’opposition à l’Occident et ses alliés, dont Israël fait partie. La diversité des déclarations expose la complexité de l’ensemble sud-américain, ainsi que le peu d’interdépendance des pays d’Amérique latine avec Israël. En effet, alors que le commerce avec les pays arabes islamiques à un impact bénéfique pour l’Amérique latine, les relations commerciales avec Israël sont déficitaires. Il est ainsi moins houleux pour les chefs d’État de s’opposer aux exactions militaires israéliennes, puisque leurs économies ne dépendent pas des échanges commerciaux avec l’État d’Israël. Cela n’avait pas été le cas lors de l’invasion de l’Ukraine en 2022, durant laquelle peu de voix s’étaient élevées contre la décision de Vladimir Poutine.
Agathe JEAN (Regards)