Lula, le 26 octobre 2023, n’était pas à Brazzaville, au sommet des trois bassins forestiers tropicaux, Amazone, Congo, Borneo/Mékong. Il y avait été invité, personnellement, par son homologue congolais, Denis Sassou Nguesso. Et avait, selon la presse, donné son accord. Il est vrai que le Brésil préside ce mois-ci le Conseil de sécurité de l’ONU, en pleine crise du Proche-Orient. Difficile sans doute d’être au four climatique et au moulin israélo-palestinien.
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Les premiers jours de la campagne des présidentielles brésiliennes, en 2022, le conseiller diplomatique de Lula da Silva, Celso Amorim avait pourtant annoncé un volontarisme diplomatique tous azimuts. Le Brésil, avec la victoire de Lula, allait, avait-il dit, retrouver ses marques, celles d’une diplomatie, « active et ambitieuse », à commencer par la protection des forêts. « Le climat », avait-il annoncé, « est aujourd’hui pour le monde une question centrale. Il ne l’est pas seulement pour le Brésil ».
La défense de l’environnement était priorisée, par réalisme tout autant que par conviction. Les foucades de Jair Bolsonaro, de 2019 à 2022, ont eu de graves conséquences sur la forêt amazonienne, et sur l’image internationale du Brésil. Les États-Unis, l’Union européenne, et en particulier la France, ont joué la carte « verte », pour serrer la vis des relations commerciales avec le Brésil. Retrouver respect et autonomie à l’international, restaurer une capacité d’influence, imposaient à Lula de prendre dès le premier jour le problème environnemental à bras le corps. Ce qu’il a fait de manière spectaculaire, en assistant, comme président élu, et pas encore en fonction, à la COP27, de Charm-el-Cheikh en Égypte, le 18 novembre 2022. Les travaux pratiques ont suivi dès le 1er janvier 2023, jour de sa prise de fonction. Marina Silva, icône écologique de sa première mandature, a retrouvé son maroquin environnemental abandonné en claquant la porte en 2008. Un ambassadeur en charge du dossier, Luiz Alberto Figeiredo, a été nommé dans la foulée le 17 février 2023. Le Brésil a posé le 12 janvier 2023 et obtenu l’organisation de la COP30 à Belém en 2025.
Très vite l’appareil d’État a été mobilisé. Les forces armées sont parties en guerre contre les chercheurs d’or clandestins, à l’origine d’une pollution au mercure du bassin amazonien. L’administration en charge de la défense des forêts et de l’environnement, l’IBAMA (Institut brésilien de l’environnement) a été musclées en dotations financières et humaines, le 15 août 2023. Au premier semestre 2023 les alertes déforestation enregistrée ont baissé de 42 %. En août 2023 la statistique enregistrait un bonus de 66 %. Un plan national de transition écologique a été présenté dans la foulée. Ces signaux positifs ont été suivis d’engagements internationaux. Le Brésil a signé nombre de conventions environnementales gelées par l’ex-capitaine Bolsonaro : la convention d’Escazú, un plan cadre de coopération avec l’ONU pour le développement durable.
La Banque du Brésil et la BID (Banque Interaméricaine de Développement) ont signé un programme de promotion bioéconomique le 21 septembre 2023. Chaque rencontre bilatérale a donné l’occasion d’une piqûre de rappel. Avec le premier ministre australien, par exemple, le 19 mai 2023. Et avec Joe Biden, le 16 août 2023. Les États-Unis et quelques pays européens, l’Allemagne, la Norvège ont répondu présent pour abonder le Fonds Amazonie mis en place par Brasilia. Le révisionnisme environnemental alors a pris la voie royale d’initiatives plus amitieuses, pour l’environnement, comme pour le Brésil et son image internationale. Le Brésil a invité le monde à Belém les 8 et 9 août 2023 pour parler sur place avec tous les acteurs régionaux et locaux concernés. Les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’OTCA (Organisation du Traité de Coopération Amazonien) ont tous fait acte de présence. Les présidents des deux Congo, ont répondu présent. L’Indonésie a délégué l’un de ses ministres.
Pourtant les choses ont été moins huilées qu’il y paraît. La diplomatie forestière du Brésil, a été prise dans un effet de serre complexe. La Colombie, acteur régional, a négocié avec Brasilia un accord bilatéral intermédiaire. Son chef d’État a pris par ailleurs des initiatives autonomes. La France invitée à Belém s’est fait prier. Elle a in fine mandaté un représentant de niveau modeste. Elle a tout au long du premier trimestre 2023 éludé l’invitation du Brésil, multiplié les initiatives forestières et environnementales, sollicitant la présence du premier magistrat brésilien. Lula n’a pas assisté au « One forest summit » organisé par Paris et Libreville en mars 2023. Il a en revanche fait acte de présence à Paris les 22 et 23 juin 2023, sous réserve d’obtenir un tête à tête avec son homologue français, lui permettant de remettre sur la table son invitation à Belém. Tout comme de mettre les pieds dans les plats européens pour critiquer « le colonialisme vert », instrumentalisé, selon lui, par égoïsme commercial à Bruxelles et Paris. Qui plus est l’environnement peine à trouver sa place au Brésil. Les caisses de l’État sont tributaires d’activités extractives et agricoles éloignées des préoccupations environnementales. C’est le lot de bien des pays au Sud, comme au Nord. Mais le Brésil, surveillé de près par ses concurrents économiques et commerciaux, a beaucoup à se faire pardonner après l’épisode écocidaire bolsonariste. De fait, en dépit d’un affichage environnemental ostentatoire, en même temps, les autorités brésiliennes, et le Président, voyagent en Chine, et ailleurs dans le monde, accompagnés des agro-exportateurs.
Des retombées globales étaient attendues par Lula et son équipe diplomatique, au vu de ces engagements environnementaux. Ils peinent à se concrétiser. Les tentatives d’agglomérer les voies discordantes à l’international, exigeant plus de multilatéralisme, sont jusqu’ici restées lettre morte. Y compris en Amérique latine. Le Brésil n’est pas arrivé à faire converger ses deux partenaires latino-américains du G20 sur les crises du moment, Ukraine et Proche-Orient. Chacun, Argentine, Brésil, Mexique, porte un discours assez voisin. Mais aucun n’a pu, ou voulu, créer des convergences concrètes. La Colombie, pays amazonien, a ajouté son grain particulier à une partition pourtant partagée. Lula a concédé à son homologue colombien, Gustavo Petro, un accordage de violons le 8 juillet à Leticia, ville amazonienne frontalière, un mois avant le sommet OTCA de Belém. La base arrière du Mercosur tangue.
L’Argentine est en période d’incertitudes politiques comme économiques. L’Uruguay fait de plus en plus chambre à part. Le Mexique a refusé de prendre en considération la proposition brésilienne d’une monnaie latino-américaine, concurrençant le dollar. Le Brésil était représenté au sommet congolais des bassins forestiers tropicaux. Mais Lula n’a pas prononcé son discours de Brazzaville. Sans pour autant avoir à l’ONU réussi à rompre la polarisation paralysante des vetos croisés entre Russes et Nord-Américains.
Jean-Jacques KOURLIANDSKY