Autrefois, la jeunesse argentine votait massivement à gauche. En 2023, elle plébiscite le candidat libertarien d’extrême droite Javier Milei. Son programme : dollarisation de l’économie, élimination de la banque centrale et coupes drastiques dans les services publics.
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Si les élections de candidats d’extrême droite qui ont eu lieu aux États-Unis et au Brésil nous ont bien appris quelque chose, c’est que le terrain de jeu de la politique contemporaine n’est autre que les réseaux sociaux. Ces derniers occupent une place de plus en plus importante, et plus particulièrement auprès des jeunes. C’est dans cette vague que s’inscrit Javier Milei, un expert dans l’art de la conversation – et du bruit – sur les réseaux sociaux. Le triomphe et la popularité croissante de Libertad Avanzada et de Javier Milei surprend et appelle à des comparaisons immédiates avec Donald Trump et Jair Bolsonaro. Cela pose une question inédite : que se passe t-il sur les réseaux ? Les adhérents de Libertad Avanzada sont en grande partie des usagers réguliers des réseaux sociaux qui partagent du contenu spontané de manière permanente, ce qui crée un réseau décentralisé qui a pour effet d’amplifier le discours libertarien du candidat.
Dès lors, il est clair que la rhétorique anti-establishment qu’emprunte Javier Milei séduit de plus en plus les électeurs. Une étude de Juventudes y Democracia de Luminate a démontré que cette mobilisation sur les réseaux sociaux perturbait le cours de la politique traditionnelle qui désormais s’immisce dans la vie des électeurs de manière beaucoup plus subtile, sous la forme de commentaires, de débats ou de réactions. Selon l’enquête, ce type de format limite la discussion politique publique et entretient les dynamiques de polarisation ainsi que l’effet bulle.
De plus, ce discours décentralisé et anti-establishment, parfois passionné, contredit l’idéal démocratique de la discussion pragmatique et va à l’encontre de la construction d’un espace politique pluriel et divers.
« Milei est le seul, le seul qui puisse changer l’Argentine pour toujours », affirme convaincu Ignacio, un étudiant en Économie aux portes du meeting du candidat. La majorité de ses partisans sont des jeunes hommes. Lors de ses déplacements, les foules sont au rendez vous, il est possible d’acheter des tee-shirts et des drapeaux à son effigie, avec la silhouette d’un lion ou encore des casquettes des forces du ciel, faisant référence à une phrase de l’Ancien Testament “Lors d’une bataille, la victoire ne dépend pas du nombre de soldats, mais des forces du ciel. » Les sondages dévoilent que la moitié des personnes qui soutiennent l’économiste ont moins de trente ans.« Je suis déçu par les politiques » : c’est le genre de phrases qui est répétée par les électeurs de JavierMilei. La recherche d’un futur économique prospère et la fin des privilèges semblent être les raisons majeures de leur soutien. Même si un certain nombre d’entre eux admettent ne pas partager certaines de ses propositions, la plupart s’accorde pour dire que les dirigeants précédents ont échoué dans leur mission et qu’ils disposent de trop nombreux privilèges.
Gabriel Nieto, un jeune de 27 ans ajoute à ce propos « Ce sont tous les mêmes, la plupart d’entre eux ne savent pas ce qu’il se passe dans la rue. Je ne sais pas si Milei est la solution mais c’est une lumière qui nous guide vers la nouvelle génération ». La jeunesse argentine en appelle à un abandon des privilèges et des castes, qui semblent déconnectées du monde réel. On peut alors voir le succès électoral dupersonnage comme un symptôme d’une trahison des politiques passées et d’un questionnement symbolique sur le rôle réglementaire de l’État.
Toutefois, il est important de rappeler que le vote des jeunes reste tout de même largement un vote masculin. En effet, parmi les jeunes électeurs de Javier Milei, huit sur dix sont des hommes. Il est vrai que l’économiste n’est pas connu pour être un fervent défenseur des droits des femmes. Anti-avortement, multipliant les déclarations controversées et sexistes, il est critiqué pour son manque de soutien envers les femmes. La députée nationale Brenda Vargas Matyi, la plus jeune de la Chambre, a pris la parole pour faire entendre la voix des jeunes femmes . Elle explique que « les femmes sont plus attachées à leurs droits, en partie parce qu’elles se sont battus pour eux au fil des années » alors que le vote massif des hommes pour Milei serait lié à « un manque de reconnaissance des droits obtenus, puisque les hommes ont pu se libérer du chemin des inégalités plus facilement que les femmes ».
Voter pour Javier Milei ressemble beaucoup à un vote de colère anti-péroniste mais en réalité, les jeunes argentins voient aussi par ce vote un véritable plan d’action pour en finir avec des politiques dépassées qui jusque-là, les ont conduit à l’inflation.
Página 12, El País, La Nación