Le dimanche 20 août, au terme de deux référendums, les Équatoriens ont privilégié la protection de hauts lieux de biosphère de leur pays aux profits de l’activité pétrolière. Si le chemin est encore long vers un respect total de ces territoires, il s’agit de victoires pour ceux qui militaient depuis longtemps pour ces espaces…
Photo : El Colombiano
En Équateur, le dimanche 20 août, un référendum longtemps attendu par certains activistes écologistes a débouché sur une victoire qualifiée d’historique pour la lutte contre le changement climatique. 58 % des voix de la population se sont unies pour mettre un terme à l’extraction de pétrole en cours depuis 2016 dans la zone du bloc 43 dit ITT (pour Ishpingo, Tambococha et Tiputini) située dans la réserve amazonienne de Yasuni. Une autre décision importante pour la biodiversité et le climat a été prise le même jour dans le pays, à un niveau plus local : 68 % des habitants du district métropolitain de Quito ont voté eux pour l’arrêt de l’activité minière dans six petites villes dans le territoire du Choco Andino, en périphérie de la capitale. Ceux qui estiment que le pays se prive en ce faisant de mannes financières énormes, semblent minoritaires et en perte d’influence. En effet, l’exploitation du bloc 43 compte pour 12 % de la production de la ressource la plus exportée par l’Équateur : le pétrole. L’entreprise nationale Petroecuadorévalue d’ailleurs à 14.5 milliards d’euros les pertes que l’arrêt de ce projet représentent sur 20 ans.
Mais le gouvernement a rétorqué que la décision concernant le bloc 43 n’était pas tout à fait constitutionnelle. Lors de ses déclarations à la presse mercredi 24 août, le ministre de l’Energie et des Mines Fernando Santos a en effet affirmé que le démantèlement serait très complexe et qu’un problème constitutionnel pourrait également pencher pour le maintien du projet malgré le vote : un « oui » aurait bien gagné à l’échelle du pays, mais pas au niveau local. Dans la province amazonienne d’Orellana, où l’exploitation du bloc 43 donne du travail à un grand nombre de personnes, la population s’est opposée à l’arrêt de l’exploitation à hauteur de 58 % des suffrages. Or, selon l’article 57 de la Constitution équatorienne, les populations locales ont le dernier mot en matière d’exploitation. Le gouvernement n’a donc rien décidé et il préparera un plan de démantèlement des installations pétrolières à réaliser en un an, comme le souhaite le référendum, pour les autorités issues du second tour de la présidentielle, le 15 octobre prochain.
Le résultat du référendum a, malgré tout, été largement salué par les activistes écologistes, et ce partout dans le monde. Il s’agit en effet d’une grande première, qu’un pays dise non au pétrole et à l’activité minière au « profit » de la biodiversité. Même Leonardo Dicaprio a salué le référendum et la victoire du « oui » comme « un exemple de démocratisation de la politique climatique ». En effet les résultats des deux référendums du 20 août témoignent de véritables victoires pour le respect de ces deux réserves de biosphère, définies ainsi par l’UNESCO depuis plusieurs années. D’une part, le Choco Andino, qui concentre 287 000 hectares de forêts, est souvent décrit comme « le poumon de Quito » et héberge notamment l’ours des Andes. D’autre part, le Parc de Yasuni abrite en moyenne, sur une parcelle d’un hectare seulement, plus d’espèces de végétaux que toute l’Amérique du Nord. Depuis 2007, ces terres luxuriantes de l’Équateur sont également protégées par la Constitution qui reconnaît aux peuples autochtones « la propriété collective de la terre, en tant que forme ancestrale d’organisation territoriale ». Le Parc de Yasuni est le territoire historique des Waoran, y vivent aussi des Kichwa, des Tagaeri, des Dugakaeri et des Taromenane.
Les organisations indigènes équatoriennes, la Confeniae et la Conaie font d’ailleurs parties du mouvement militant pour la protection de Yasuni qui existe depuis le début des années 2000 via l’initiative Yasuni ITT. Il s’agissait dès la création de cette dernière d’empêcher l’exploitation du gisement d’or noir, et donc de préserver l’environnement et le territoire des peuples autochtones. C’est plus précisément le mouvement écologiste équatorien Accion Ecologicaqui est à l’origine en 2006 de cette initiative. Il demandait que 20% de réserves pétrolières du bloc 43 soient laissées sous terre. Suite à cette demande des militants pour la protection de Yasuni, l’Équateur, en échange du maintien d’une partie de son stock de carbone en terre et pour assurer un développement plus écologique, plaidait auprès de la communauté internationale pour une compensation à hauteur de 50% des revenus que le pays aurait pu tirer de l’exploitation de ce pétrole, au nom du principe de coresponsabilité dans les problèmes environnementaux globaux. Mais tous les grands acteurs internationaux se sont petit à petit défilés. Seulement 1% des sommes nécessaires furent réunies au sein d’un fonds fiduciaire créé par le Plan des Nations Unies pour le Développement. Le projet fut abandonné, face aux multiples oppositions, non seulement externes mais aussi internes, le 15 août 2013.
Néanmoins, au terme d’un militantisme forcené durant toutes ces années, les organisations indigènes et écologistes, ont fini par obtenir gain de cause en mai 2023, lors de la tenue du référendum exigée par la Cour constitutionnelle de l’Équateur, soit la plus haute instance juridique du pays. C’est donc un obstacle majeur que les activistes de Yasuni ont franchi… Ces deux bonnes nouvelles pour la nature et les habitants de l’Équateur en appellent d’autres, et ce aussi dans le reste de l’Amérique latine et du monde. Beaucoup de travail reste à faire dans le pays aux vues du nombre conséquent de champs pétroliers toujours en exploitation dans le parc Yasuni et des douze concessions minières et métalliques toujours en exploitation dans le Choco Andino. Place maintenant aux second tour des élections présidentielles du 15 octobre, pour voir si le pétrole du bloc 43 restera sous terre, ou non.
Julio DUCOS