Deux pertes pour la culture chilienne : disparition de la poétesse Malú Urriola et de la chanteuse Cecilia

Décédées respectivement les 21 et 24 juillet 2023, la poétesse Malú Urriola, grande figure de la poésie engagée et féministe, et la chanteuse et compositrice Cecilia Pantoja Levi, surnommée « l’incomparable », laissent un grand vide dans l’espace artistique au Chili.

Photo : Radiomania

La mort des deux artistes chiliennes Malú Urriola et Cecilia constitue une double perte pour la culture chilienne. La poétesse Malú Urriola, membre de la « génération de 1990 » et plus spécifiquement de « Los bárbaros » – promotion l’incluant avec d’autres poètes comme Guillermo Valenzuela ou Sergio Parra – est née en 1967 et décédée le 21 juillet 2023. Elle commence sa production poétique en 1988 avec son recueil Piedras rodantes après avoir obtenu une bourse de la Fondation Neruda en 1986, comme le rappelle le site Memoria Chilena. Marquée par la dictature de Pinochet et très influencée par les autrices féminines comme María Luisa Bombal, Marta Brunet, Carmen Berenguer et Diamela Eltit, elle écrit des poèmes militants sur la place de la femme dans la société. Elle publie par la suite d’autres recueils comme Dame tu sucio amor (1994), Hija de perra (1998), Nada (2002), Bracea (2007). Le thème de la mort est fréquent dans sa production comme le précisent les chercheurs Edson Faúndez et Claudia Salgado Roa. D’ailleurs, elle écrit dans Nada :

La muerte y  yo, por citar al recuerdo, / de vez en cuando arrojamos la ropa por el suelo, / y  mientras sus manos desabotonan mi camisa, / yo acaricio los largos cabellos canos / que cuelgan hasta sus caderas /[la mort et moi, pour convoquer le souvenir, / de temps à autre jetons nos vêtements par terre, / et pendant que ses mains déboutonnent ma chemise, / moi, je caresse ses longs et blancs cheveux / descendant jusqu’à ses hanches]. 

C’est cette mort qui est venue enlever Malú mais aussi Cecilia, toutes deux en juillet 2023. En effet, Cecilia Pantoja Levi, considérée comme grande représentante de la « nueva ola » au Chili dans les années 60, nous a quittés le 21 juillet 2023 à 79 ans. Ce courant musical était représenté par de jeunes interprètes de musique populaire devenus de vraies idoles, mais Cecilia s’en est en fait démarquée en interprétant des titres aux accents latinos et européens quand les autres chanteurs de ce mouvement interprétaient des adaptations de tubes états-uniens. Membre du groupe « Cecilia y los hermanos González » dès la fin des années 50, devenu ensuite « Los de Tomé », le timbre particulier de Cecilia attire rapidement l’attention. Après la séparation du groupe, elle fait partie de la formation « Los Singers » puis entame une carrière solo en abordant divers courants tels le rock, le tango, les mélodies italiennes et le folklore, comme le rappelle la journaliste Antonia Laborde.

Produite sous le label Odeón, elle obtient très rapidement un grand succès avec des titres comme « Tango de las rosas » (1963) ou «Baño de mar a medianoche » (1964), avant de gagner en 1965 le concours du festival de Viña del Mar avec son titre « Como una ola » : lors de cet événement, elle réalise un geste qui lui est propre, à savoir le « beso de taquito », consistant à lancer un baiser en l’air puis à l’envoyer au public à l’aide du talon de l’une de ses chaussures. C’est d’ailleurs cette année-là qu’elle sort son deuxième LP intitulé La incomparable qui lui donnera son surnom. Entre 1968 et 1970, elle propose des reprises de Violeta Parra et Víctor Jara (« Gracias a la vida » et « Plegaria para un labrador ») ainsi qu’une chanson intitulée « Compromiso ». Si le succès de Cecilia décline après les années 60, elle reste une figure appréciée des jeunes générations qui en ont reçu l’influence comme Mon Laferte. C’est donc un triste mois de juillet pour la poésie et la chanson au Chili, mais grâce à leurs œuvres perdurera le souvenir de ces deux grandes artistes.

Benoît SANTINI