Andreina Mújica, une journaliste exilée, accusée de menaces de mort à l’encontre d’une diplomate vénézuélienne en poste à Paris, a été blanchie par la justice en juillet dernier. L’accusation était vraisemblablement destinée à faire taire la journaliste militante.
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Quatre ans d’attente pour voir réparées de fausses accusations. À Paris, la justice française a classé sans suite, en juillet dernier, la plainte d’une diplomate vénézuélienne en poste à Paris contre une de ses compatriotes, la journaliste Andreina Mujica, installée en France. La plaignante, Glenna Cabello Rondón, alors Consule du Venezuela à Paris, accusait Andreina Mujica de “menaces de mort“ et de fomenter un mouvement hostile à son encontre.
Début juillet, la justice française a donc débouté la diplomate de sa plainte mais, souligne la journaliste, « pendant deux ans, tous mes faits et gestes, tous mes écrits ont été passés à la loupe par la police judiciaire, alors que la plainte était totalement infondée ». Andreina Mujica, qui vit en France depuis 2004, collabore à plusieurs médias indépendants du Venezuela (ceux qui restent) et est également photographe. Militante pour les droits humains, farouchement opposée au régime de Nicolás Maduro, Andreina avait posté en mars 2019 un texte sur sa page Facebook pour dénoncer l’arrestation au Venezuela du journaliste Luís Carlos Díaz par la SEBIN, les très redoutés services de renseignements vénézuéliens.
Une arrestation de plus dans le cadre d’une répression contre la presse libre, et la « quatrième arrestation d’un journaliste en un mois » cette année-là, précise Mme Mujica. Son post ne passe pas inaperçu et déclenche une avalanche de commentaires acerbes à l’égard du régime de Nicolás Maduro. Certains de ces commentaires dépassent toute bienséance, ce qui conduit Mme Cabello, à Paris, à porter plainte contre Andreina Mujica. Pourtant, celle-ci n’a employé aucun terme insultant ni menacé la diplomate.
Objectif : faire taire la journaliste dissidente
Défendue par les avocats François Zimeray et Catalina de la Sota, Andreina Mújica aurait pu garder l’esprit tranquille en laissant filer le temps de la procédure, mais l’affaire avait manifestement une dimension politique destinée à museler la journaliste, bien davantage que de défendre l’honneur d’une diplomate supposément menacée.
De fait, Mme Cabello Rondón, la plaignante, est la soeur d’un homme considéré comme le numéro deux du régime, Diosdado Cabello, actuellement vice-président du parti au pouvoir, le PSUV, et pourfendeur infatigable des “ennemis“ de la Révolution bolivarienne du Venezuela. L’homme est par ailleurs accusé de trafic de drogues par le Département d’État américain et sa capture mise à prix pour 10 millions de dollars. Dans son post Facebook de mars 2019, Andreina Mujica écrit que la consule est la « responsable directe » (…) de l’arrestation du journaliste, évoquant les liens de la consule avec son frère Diosdado Cabello, « qui gère le SEBIN ». La formule étonne, mais Andreina Mujica se justifie : « j’ai évoqué la Consule car elle est la représentante officielle du Venezuela en France et, à ce titre, vivant moi-même en France, c’est à elle que je devais m’adresser, d’autant qu’elle est la soeur de Diosdado Cabello. »
Par ailleurs, Andreina Mujica est elle-même la soeur de l’ex-ambassadeur du Venezuela en France (jusqu’en 2020), Héctor Michel Mujica. En 2017, dans une lettre ouverte, sa soeur Andreina exhortait l’ambassadeur de revenir à la raison et de ne pas accepter d’être complice des exactions du régime. Cette année-là, une violente répression s’abattait sur les manifestants qui se soulevaient dans la rue contre le pouvoir de M.Maduro. En quatre mois d’émeutes, on dénombrait 115 morts. L’ambassadeur n’a évidemment pas donné suite, mais sans doute a-t-il pesté contre cette sœur agitatrice. Deux ans plus tard, l’équipe diplomatique tenait sa revanche.
Quelques semaines après l’audience qui a classé l’affaire sans suite, l’avocat François Zimeray nous déclare : « Cette plainte était à l’évidence une forme de persécution diplomatique, le régime vénézuélien s’abritant derrière l’immunité diplomatique pour traquer les opposants. On pourrait y voir une sorte de harcèlement sans frontières pour museler les voix dissidentes en exil. » Andreina Mujica peut désormais envisager avec soulagement la suite de sa carrière et de son projet “Somos Caravana“, qui vient en aide aux migrants en France.
Le journaliste vénézuélien Luís Carlos Díaz a été libéré dix jours après son arrestation, sous la pression internationale. Interdit de quitter le pays pendant trois ans, il a quasiment cessé ses activités militantes, et bien que demeurant journaliste, il a notamment arrêté son canal YouTube d’analyse politique. La consule Cabello Rondón a été mutée à Bilbao, en Espagne. Héctor Michel Mujica n’est plus ambassadeur et vit toujours à Paris.
Sabine GRANDADAM