À Paris, nous avons suivi pas à pas les différentes manifestations entourant la visite de Gabriel Boric après sa participation au Sommet Europe Amérique latine à Bruxelles. L’accueil de Mme Anne Hidalgo, maire de Paris, a été très émouvant ainsi que la projection d’un documentaire à la Maison de l’Amérique latine.
Photo : Paris-Tour
Plus de cinquante chefs d’État de la Union européenne (UE) et de l’Amérique latine se sont réunis le 18 juillet dernier pour un sommet à Bruxelles sous la nouvelle présidence espagnole. La réunion UE/CELAC avait comme objectif pour l’Europe de réactiver les relations avec l’Amérique latine, entre parenthèses depuis huit ans. Depuis la crise provoquée par la guerre en Ukraine déclenchée par l’invasion russe, l’Europe s’est rendu compte de la nécessité de renforcer les liens avec cette région afin de parvenir à un équilibre géopolitique vis-à vis des autres puissances du monde.
Lors de ce sommet, de nombreux points furent abordés et des accords recherchés dont justement parvenir à une position commune des chefs d’État latino-américains vis-à-vis de cette guerre, mais ceci ne fut pas possible, les positions de certains pays dont le Brésil, le Venezuela, le Nicaragua se refusant à la condamnation de la Russie fut maintenue. Mais au deuxième et dernier jour du sommet entre l’Union européenne et les pays de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (Celac) à Bruxelles, les Européens ont signé mardi 18 juillet des accords avec les pays (Chili, Argentine, Bolivie) pour la commercialisation de lithium, l’hydrogène vert et autres matières premières indispensables à la transition énergétique, dont les pays latino-américains sont des producteurs importants. Le Chili a les réserves de lithium les plus grandes au monde, dans ses lacs salés du désert d’Atacama et c’est aussi le plus grand producteur de cuivre de la planète – soit deux métaux essentiels à la fabrication de batteries pour les voitures électriques. Et donc hautement stratégiques pour la transition énergétique en cours en ce moment.
L’accord, signé ce mardi entre la Commission européenne et le président du Chili Gabriel Boric, permettra à l’Union européenne de s’approvisionner plus facilement en cuivre et en lithium dans ce pays. Objectif : réduire la dépendance de l’Europe face à la Chine dans ce domaine et préparer la fin des voitures à moteurs thermiques, prévue en 2035 dans l’Union Européenne (UE). Un accord similaire avait été signé le mois dernier avec l’Argentine, qui détient aussi d’importantes réserves de lithium. En échange, l’UE promet d’investir au Chili pour que le pays n’exporte pas simplement ses matières premières brutes, mais transforme davantage le lithium et le cuivre au niveau local : le pays y gagnerait en valeur ajoutée et pourrait créer davantage d’emplois qualifiés sur son sol. Ces investissements font partie de l’initiative européenne Global Gateway, qui cherche à concurrencer d’une certaine façon les nouvelles « Routes de la soie », ce grand projet chinois d’investissements internationaux. L’UE et le Chili doivent aussi ratifier avant la fin de l’année un nouvel accord d’association, qui approfondit le libre-échange entre eux et prévoit une coopération politique et économique plus importante.
Un tel sommet n’avait pas eu lieu depuis huit ans. Mais il était aussi l’occasion pour l’Union européenne de tenter d’avancer vers la ratification de l’accord de libre-échange avec les pays du Mercosur, objectif non atteint par l’opposition de certains pays européens et aussi parce que le Brésil n’était pas parvenu à élaborer une position d’ensemble des membres du Mercosur.
Anne Hidalgo
Le président chilien Gabriel Boric, profitant de ce voyage en Europe, s’est rendu en Espagne et en France. Visite passée presque inaperçue dans les médias français ! Il fut l’hôte de la mairie de Paris où il fut accueilli chaleureusement par la Maire Anne Hidalgo. Le président Gabriel Boric était accompagné de certains de ses ministres, de l’ambassadeur du Chili à Paris et d’une délégation de femmes cheffes d’entreprise. Dans les salons de l’Hôtel de Ville se trouvait la communauté chilienne venue en nombre écouter le président chilien. Anne Hidalgo a prononcé un discours en espagnol évoquant le processus constitutionnel chilien et les espoirs que celui-ci avait suscité et suscite encore malgré les vicissitudes que celui-ci a connu. Elle a évoqué l’importance de la presse indépendante parfois en danger dans nos démocraties, thème qu’elle avait abordé avec le président chilien peu avant dans ses bureaux de la Mairie. Elle a prononcé les noms des personnalités, artistes et intellectuels chiliens ayant vécu à Paris et qui ont permis de créer des liens culturels entre la France et le Chili. Et, en cette année du 50e anniversaire du coup d’Etat du général Augusto Pinochet, elle a dit comment ces évènements tragiques ont marqué la conscience des générations en France et dans le monde. Anne Hidalgo a mentionné l’exil chilien et ces exilés qui ont fait de Paris leur propre ville en l’enrichissant avec leur apport.
Elle a fait savoir à Gabriel Boric son admiration pour la trajectoire politique du jeune président et pour l’énorme défi auquel ce dernier est confronté avec les difficultés et obstacle qu’il rencontre dans son pays. Le défi de regarder le passé, dans cet anniversaire de 50 ans et en même temps celui d’avoir une vision pour le futur. Elle a affirmé que cette commémoration du 11 septembre 1973 revêt une dimension internationale.
« À Paris j’ai souhaité rendre un hommage à l’ancien président Salvador Allende et à la démocratie chilienne. À partir de septembre seront organisés avec les associations chiliennes une série d’expositions, de débats, de projections de films et concerts, et bien sûr avec le Quilapayun et « Le peuple uni… ». En souvenir, nous rendrons hommage aux ambassadeurs Pierre et Françoise de Menthon qui donnait asile à des centaines de Chiliens persécutés dans les heures les plus sombres du début de la dictature », a-t-elle déclaré.
Elle a dit non sans gravité que cet anniversaire chilien de 50 ans, est un appel à la vigilance car les ennemis de la démocratie sont nombreux, parfois sous la forme de populismes d’extrême droite même en Europe alors même que nous pensions que nos démocraties étaient bien installées. Anne Hidalgo a exprimé ses vœux de réussite au président espagnol Pedro Sánchez, lors des élections en Espagne où « est en train de se réouvrir la porte de l’extrême droite ».
Rencontre avec Emmanuel Macron
Le président Gabriel Boric fut invité à un déjeuner de travail au palais de l’Elysée par le président français Emmanuel Macron. Le chef de l’État chilien a répondu aux éloges du président français pour sa position courageuse sur la guerre en Ukraine et sa condamnation de l’invasion russe ainsi que par la condamnation des atteintes des droits de l’homme au Nicaragua et au Venezuela. Les deux présidents ont aussi abordé les diverses crises internationales discutées lors du sommet UE/CELAC, dont la guerre en Ukraine et la situation au Venezuela et en Haïti. « Merci pour votre position inéquivoque sur la guerre initiée par la Russie en Ukraine”, lui a dit Emmanuel Macron. La presse allemande a déclaré que le président chilien Gabriel Boric « a sauvé le sommet », qualifiant son gouvernement de « moderne et social » où la parité hommes et femmes au gouvernement est une exception, par exemple.
(Voir aussi la vidéo dans cette news du discours de bienvenue d’Emmanuel Macron)
Maison de l’Amérique latine à Paris
Le président du Chili, Gabriel Boric, a demandé vendredi « pardon » au nom de l’État chilien à ses compatriotes présents à la Maison de l’Amérique latine où il fut projeté le film documentaire inédit Revoir l’ambassade- Chili 1973, réalisé par les Français Thomas Lalire et Benoit Keller, sur le rôle des époux de Menthon, ambassadeurs français en 1973 qui ont accueilli plusieurs centaines des Chiliens qui se sont refugié chez eux. « Je voudrais dire, avec une grande responsabilité, au nom de l’État, pardon », a déclaré Boric, ému. « Même si ce n’était pas nous, l’État les a privés matériellement, formellement, de leur patrie et c’est inacceptable », a ajouté le chef d’État de gauche, âgé de 37 ans, qui s’est engagé à continuer à rechercher « la vérité et la justice ». Aux nombreux Chiliens présents lors de la manifestation organisée à Paris : « Votre combat n’a pas été vain », leur a dit le président Boric, accueilli par des applaudissements.
(Lire aussi dans cette news le discours de bienvenue d’Anne Husson, directrice culturelle de la Maison)
Lors de la rencontre quelques heures plus tôt avec Emmanuel Macron, Gabriel Boric avait remercié la France pour sa « générosité » dans l’accueil des réfugiés, soulignant que deux enfants de l’exil chilien étaient aujourd’hui députés français : Raquel Garrido et Rodrigo Arenas, tous deux de gauche.
La Sorbonne
Gabriel Boric s’est rendu également à l’université de la Sorbonne où il était invité par son président et par le président de l’Institut des Hautes études de l’Amérique latine, les deux ont prononcé un chaleureux discours de bienvenue retraçant brièvement le contexte du 50e anniversaire du coup d’État et aussi la trajectoire politique du jeune président chilien.
De retour au Chili
Cependant, le retour au pays pour le président est moins réjouissant où l’attends une crise politique majeure provoquée par des dénonciations de malversations. Un possible scandale de corruption éclabousse en ce moment la coalition présidentielle de Gabriel Boric. L’un des principaux partis qui la compose est désormais dans le viseur de la justice et une enquête a été ouverte pour trafic d’influence, détournement de fonds publics et fraude fiscale.
Un coup dur pour cette jeune génération de responsables politiques qui a toujours prôné l’exemplarité et attaquait violemment la droite lorsque celle-ci était au pouvoir et soupçonnée de corruption. D’ailleurs, Gabriel Boric n’a pas hésité à montrer sa fermeté en assurant qu’il ne défendrait pas les coupables, si tant est qu’il y en ait, et même s’ils font partie de sa coalition. Il est aussi confronté à une forte polémique en cette année de l’anniversaire des 50 ans du coup d’État où l’on voit apparaître sans tabous des positions négationnistes sur la période de la dictature mettant dos à dos les responsabilités de l’Unité populaire de Salvador Allende et du gouvernement militaire à propos des crimes commis sous la dictature.
Au milieu de ce climat malsain de négationnisme, des groupuscules d’extrême droite (Viva Chile libre, Team patriote) appellent à des militaires et civils au travers des réseaux sociaux à une manifestation ce vendredi 28 juillet, devant le palais présidentiel de La Moneda, contre le gouvernement et à des actions contre la famille du président. À suivre.
Olga BARRY